De notre correspondante
« Il n'existe pas de science appliquée s'il n'y a pas de sciences à appliquer. » Par cette citation empruntée à un prix Nobel argentin, Federico Mayor, président du Forum des sciences du vivant de Biovision, a rappelé l'importance de la relation qu'entretiennent la science, la société et l'industrie. « Elle est au coeur de Biovision », a-t-il affirmé en prélude au forum.
Du 8 au 11 avril, Lyon accueille la troisième édition de cette « grand-messe » consacrée aux sciences du vivant. Dans l'intention d'introduire un peu de controverses et tirer les leçons du précédent forum, les organisateurs se sont efforcés de proposer un équilibre entre scientifiques, représentants de la société - ONG, association de patients - et industries, qui figuraient dans le secteur de la santé pour la moitié d'entre elles, et dans l'agroalimentaire et l'environnement pour le restant. Poussant même cette logique un peu plus loin, Biovision envisage d'intercaler, entre deux éditions, un congrès dans les pays du Sud, là où les attentes en matière d'alimentation et d'amélioration de la santé dépendent encore étroitement du bon vouloir de l'hémisphère Nord. Au même titre, Biovision a décidé « d'encourager » le fonds mondial pour les vaccins, créé il y a quatre ans, afin de répondre aux besoins des 75 pays les plus pauvres de la planète.
Au-delà de ces quelques ponts jetés vers l'humanitaire, Biovision reste un lieu de discussion et d'analyse des dernières percées de la science, comme le souhaitait son père fondateur, l'ancien Premier ministre, maire de Lyon et député, Raymond Barre.
Dévaluation du sacré
Aussi, pas moins de 11 prix Nobel ont-ils été invités en prélude au forum, le 8 avril, d'abord pour fêter le cinquantième anniversaire de la description de la structure de l'ADN par Crick, Watson et Wilkins, ensuite pour débattre des aspects sociétaux de la découverte. Ce fut l'occasion pour François Jacob, prix Nobel de médecine en 1965, de rappeler comment les structures du vivant ont été découvertes « d'abord, à la manière des poupées russes, le séquençage du génome ayant constitué l'ultime phase ».
Puis, repartant en sens inverse, les chercheurs se sont attelés à la restructuration du vivant, notamment par l'étude des cellules souches. « L'un des effets de ces découvertes est la dévaluation du sacré dans le monde du vivant », a estimé François Jacob, relevant au passage que l'embryon constituait désormais le dernier refuge du sacré. Puis il s'est livré à un plaidoyer pour la recherche sur l'embryon, actuellement interdite en France. « Nous avons connu des situations semblables par le passé », a-t-il remarqué, en faisant référence à cette période de la Renaissance où, sous l'Inquisition, la dissection était formellement prohibée. « A ce moment, l'argument avancé était aussi une atteinte à la dignité humaine. » Or la recherche sur les cellules souches embryonnaires laisse désormais entrevoir quelques possibilités thérapeutiques sur certaines pathologies chroniques, comme le diabète, ou dégénératives, comme la maladie d'Alzheimer. « Cette interdiction faite à la recherche va-t-elle tenir encore longtemps face aux espoirs qu'elle sous-tend ? », a interrogé François Jacob.
A côté des recherches actuelles et à venir sur les cellules souches, la génomique et la biologie moléculaire sont, elles aussi, susceptibles d'apporter leur lot d'espoirs. Pour introduire son propos, l'Américain Lee Hartwell, prix Nobel de médecine en 2001, a rappelé combien le développement de thérapeutiques contre le cancer, par exemple, pouvait être long et fastidieux : « Pas plus de 12 molécules sont actuellement dans le pipe-line, et plus d'une centaine de cancers différents nécessiteraient un traitement spécifique, sans qu'il y ait toutefois beaucoup d'espoirs pour ceux qui seraient découverts tardivement. »
L'avenir, selon lui, est au développement du dépistage précoce de cancers que la médecine parvient à prendre en charge et traiter plus facilement. « Il faut donc exploiter le dépistage sérique », a-t-il observé, soulignant au passage que plus de 500 protéines sériques avaient déjà été identifiées dans ce cadre, mais que seule une centaine faisait l'objet d'un test de dépistage agréé par la Food and Drug Administration (FDA). La recherche aurait donc besoin, plus que jamais, d'être stimulée par des moyens adaptés. C'est dans ce sens que la ministre de la Recherche et de la Technologie, Claudie Haigneré, est intervenue lors de l'ouverture de cette journée des prix Nobel : « Ces défis et ces ambitions, qui font vibrer la communauté des biologistes comme les scientifiques des autres disciplines, et comme parfois le grand public, ne pourront être abordés qu'au travers de nouveaux paradigmes, qui nécessitent, eux-mêmes, une adaptation des conditions matérielles de la recherche. »
Le président de la République, Jacques Chirac, n'a-t-il d'ailleurs pas montré la voie en annonçant un vaste plan de mobilisation contre le cancer il y a deux semaines ? En parallèle, les crédits alloués aux organismes publics de recherche ne cessent pourtant de baisser. Et ce n'est pas le CNRS qui dira aujourd'hui le contraire.
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