LA CHAIRE INTERNATIONALE du Collège de France accueille chaque année, pour une durée d'un an, une personnalité scientifique originaire d'un pays autre que ceux de la Communauté économique européenne. Cette année, la chaire accueille un citoyen suisse, le Pr Pierre Magistretti, pour un cours intitulé : « Cellules gliales, neuroénergétiques et maladies neuropsychiatriques »*.
Professeur de neurosciences à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Pierre Magistretti dirige le centre de neurosciences psychiatriques du CHU vaudois. Né en 1952, il est médecin de formation, mais son intérêt se cristallise très vite sur les mécanismes moléculaires et cellulaires de régulation du métabolisme énergétique cérébral. Il obtient après des études effectuées au Salk Intitute for Biological Studies, à San Diego (Californie), le titre de doctor of philosophy en biologie (mention neurobiologie) avec un travail de thèse dans lequel il formule déjà l'hypothèse originale selon laquelle la fonction principale de certains neuromédiateurs serait de participer au couplage entre activité neuronale et métabolisme énergétique local. De retour à Genève, il poursuit ses recherches sur les interactions entre neurotransmetteurs monoaminergiques et peptidergiques qui aideront à mieux comprendre le fonctionnement cérébral et le rôle central qu'y jouent les cellules gliales, qui, pendant longtemps, ont été considérées comme des éléments passifs de la structure cérébrale, sorte de glu inerte, riche pourtant en cellules, deux à cinq fois plus nombreuses que les neurones.
Un quart de l'énergie de l'organisme.
Lors de sa leçon inaugurale, « La neuroénergétique : de la synapse à l'image », le neuroscientifique éclaircira une caractéristique du fonctionnement cérébral : bien que ne représentant que 2 % de la masse corporelle, le cerveau est l'organe qui coûte le plus cher du point de vue énergétique, consommant à lui seul un quart de l'énergie de l'organisme.
L'équipe du Pr Magistretti a montré que cette consommation élevée est due pour l'essentiel au traitement de l'information par les neurones, notamment au niveau des synapses. C'est ce phénomène que visualisent les techniques d'imagerie fonctionnelle cérébrale, résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou tomographie par émission de positons (TEP). Ces techniques reposent sur la consommation d'énergie – sous forme de glucose et d'oxygène apportés par le sang – des zones activées lors d'une activité cérébrale. Mais bien qu'elles existent depuis bientôt trois décennies, la nature des mécanismes sous-jacents (couplage entre l'activité des synapses et la consommation d'énergie) à l'origine des signaux détectés par l'IRMf et la TEP, était jusque-là inconnue.
Les astrocytes, un type particulier de cellule gliale, ont un rôle clé dans ce couplage : elles détectent l'activité synaptique et activent des mécanismes qui augmentent localement le débit sanguin cérébral et l'arrivée de glucose au niveau de la région activée (couplage métabolique neuro-glial). Une des originalités du travail de Pierre Magistretti est de s'être intéressé au versant glial de la plasticité cérébrale et non pas seulement à son versant neuronal. La plasticité cérébrale, ensemble des mécanismes qui sont à la base des processus de mémoire et d'apprentissage, pourrait être associée et même dépendre de la plasticité métabolique gliale. Les changements importants, observés au niveau des signaux d'imagerie fonctionnelle à la suite de certains apprentissages, ou même d'interventions psychothérapeutiques chez des patients souffrant de dépression, le suggèrent.
Les travaux de Pierre Magistretti permettent ainsi de porter un regard nouveau sur certaines maladies neuropsychiatriques, comme l'Alzheimer, la dépression, la schizophrénie ou l'épilepsie ; et, plus largement, sur le coût énergétique des processus mentaux conscients ou inconscients tels qu'ils sont mis en évidence par les techniques d'imagerie cérébrale.
Neurosciences et psychanalyse.
Le neuroscientifique pousse la réflexion encore plus loin, puisque, en plus de son travail expérimental, il a entrepris depuis quelques années un dialogue avec le psychanalyste François Ansermet. Cette collaboration est à l'origine d'un ouvrage, « A chacun son cerveau, plasticité neuronale et inconscient » (Odile Jacob, Paris 2004). L'articulation originale entre les deux disciplines repose sur la notion de trace : toute expérience laisse une trace dans le cerveau et celle-ci est aussi bien synaptique que psychique. Son travail actuel porte sur les notions de pulsion comme concept limite entre le somatique et le psychique. La convergence possible entre neurosciences et psychanalyse sera d'ailleurs abordée lors du colloque international organisé en clôture du séminaire, le 27 mai.
* Tous les mardis, du 11 mars au 20 mai (interruption les 22 et 29 avril), www.college-de-france.fr.
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