Par le Pr Christine Tranchant et le Dr Mathieu Anheim*
LE SPECTRE des ataxies cérébelleuses de transmission autosomique récessive (ACAR), longtemps limité à la maladie de Friedreich, s'est considérablement enrichi depuis quelques années grâce à la mise en évidence de plusieurs nouveaux gènes. Les caractéristiques cliniques et parfois biologiques de certaines de ces ataxies permettent de guider le diagnostic dont la confirmation est dans tous les cas génétique.
Les éléments cliniques qui permettent d'orienter en première ligne l'enquête génétique sont l'âge de la survenue, la présence de signes associés, tels qu'une polyneuropathie, des troubles oculomoteurs (apraxie oculomotrice), des signes pyramidaux, des mouvements anormaux, une rétinite pigmentaire ou, plus rarement, une altération cognitive. Les éléments biologiques indispensables à étudier sont la vitamine E, l'alpha-foeto-protéine, le cholestérol et l'albumine sériques, l'acide phytanique, le lipidogramme, voire le taux d'acide lactique.
La plupart de ces ataxies se révèlent dès l'enfance ou l'adolescence.
La maladie de Friedreich reste la forme la plus fréquente et doit être recherchée de principe par l'étude génétique (gène de la frataxine). L'ataxie y est associée à des signes pyramidaux et à une polyneuropathie sensitive responsable de l'abolition des réflexes ostéotendineux (ROT) ; l'IRM cérébrale ne montre pas d'atrophie cérébelleuse, car les lésions touchent préférentiellement les voies cérébello-spinales. La présence de signes dysmorphiques (pieds creux), d'une cardiomyopathie, d'un diabète ou d'une atteinte visuelle ou auditive n'est pas exceptionnelle. Le traitement est controversé et repose actuellement sur l'ubiquinone dont l'efficacité a été démontrée essentiellement sur l'atteinte cardiaque (5 mg/kg/j), mais qui, à très fortes doses (45 mg/kg/j), aurait également une efficacité sur les signes neurologiques chez les patients encore ambulatoires. Des formes tardives (parfois au-delà de 60 ans) ont été décrites et sont caractérisées par la conservation des ROT.
L'ataxie par déficit en vitamine E (AVED) doit également être systématiquement exclue par le dosage de la vitamine E. Son tableau clinique est superposable à celui de la maladie de Friedreich, mais l'atteinte cardiaque est plus rare, et un tremblement du chef associé n'est pas exceptionnel. Le diagnostic est confirmé par l'étude du gène de l'alpha TTP. Le traitement repose sur une substitution vitaminique.
La présence d'une apraxie oculomotrice, définie par une dissociation entre les mouvements oculaires et céphaliques, peut orienter vers quatre types d'ACAR : l'ataxie télangiectasie, l'ataxie télangiectasie like syndrome, l'ataxie avec apraxie oculomotrice (AOA) 1 et l'AOA 2. Dans ces quatre affections, l'IRM montre une atrophie cérebelleuse diffuse.
L'ataxie télangiectasie.
Elle débute le plus souvent avant l'âge de 5 ans (mais des formes plus tardives sont possibles) et associe, outre l'ataxie, les troubles oculomoteurs, la présence de télangiectasies, une sensibilité aux radiations ionisantes, des infections récidivantes et une susceptibilité accrue aux cancers ; la polyneuropathie y est sensitive et il existe une élévation de l'alpha-foeto-protéine, un déficit en immunoglobulines et des anomalies du caryotype. Une mutation du gène ATM confirme le diagnostic. Un phénotype comparable, mais rarissime et associé au gène MRE11, correspond à l'ataxie télangiectasie like syndrome. L'AOA 2 est, après la maladie de Friedreich, la plus fréquente des ataxies récessives débutant après l'âge de 5 ans. Elle commence le plus souvent dans la deuxième décennie et associe une ataxie récessive, une AOM inconstante, une polyneuropathie sensitivomotrice qui est responsable en partie de l'impotence fonctionnelle. Une élévation de l'AFP est constante, et le diagnostic est confirmé par l'étude génétique (gène de la sénataxine). L'AOA 1 (gène de l'aprataxine) est moins fréquente, débute dans le milieu de la première décennie ; la polyneuropathie est également sensitivomotrice, mais l'AOM y est plus fréquente ; le bilan biologique révèle plus tardivement une hypercholestérolémie et une hypoalbuminémie. L'existence précoce de mouvements anormaux (chorée, dystonie…), parfois transitoire, a été décrite tant dans l'AT, l'AOA 1 que dans l'AOA 2… Les gènes impliqués dans ces quatre affections ont en commun d'intervenir dans la réparation de l'ADN.
Les autres ACAR dont les gènes ont été identifiés sont l'ataxie spastique de Charlevoix-Saguenay (gène de la sacsine), caractérisée par l'association de signes pyramidaux et ataxiques avec la présence de fibres rétiniennes myélinisées proéminentes au fond d'oeil et aussi d'une neuropathie sensitivomotrice et les maladies peroxisomales dominées par la maladie de Refsum caractérisée par une élévation du taux sérique d'acide phytanique. L'ataxie spinocérébelleuse plus neuropathie (SCAN 1) réalise un tableau clinique proche de l'AOA 1, mais sans AOM, et est associée à des mutations du gène TDP 1. L'ataxie spinocérébelleuse de début infantile (IOSCA), décrite actuellement uniquement en Finlande, réalise un tableau d'encéphalopathie diffuse avec épilepsie, atrophie optique et surdité. Dans le SANDO, lié à une mutation du gène POLG intervenant dans le fonctionnement mitochondrial, l'ataxie est plus souvent proprioceptive et il existe une ophtalmoparésie. Plus rarement, l'ataxie entre dans le cadre d'une abétalipoprotéinémie ou d'une maladie de Niemann-Pick de type C (altération cognitive, voire troubles psychiatriques associés). Un nouveau gène, ADCK3, a été individualisé récemment dans une forme d'ACAR, appelée ARCA 2, peu évolutive, associée au plan musculaire à un déficit en Coenz Q10.
* Service de neurologie, CHU de Strasbourg.
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