Théâtre
Une falaise. Une haute falaise dans laquelle est creusée un palais. Antre d'où surgit Phèdre, cachée loin du soleil. Un décor de Richard Peduzzi qui rappelle Pétra. Des gradins. Deux volées de gradins qui se font face et s'écartent très légèrement. D'un côté est un couloir par où surgit Hippolyte, jeté comme dé sur le sol de ciment peint. Au fond, face à la falaise, des chaises à tubulures comme dans les écoles. Au-dessus, le faux plafond de cette immense halle, ancien hangar à décor de l'Opéra de Paris, édifié par Charles Garnier.
On aimera ou non les costumes très Europe de l'Est années 70 dessinés par Moidele Bickel qui avait suggéré à Patrice Chéreau, après « Dans la solitude des champs de coton » de Koltès, de mettre en scène Racine. Le travail des lumières de Dominique Bruguière, des poursuites qui ne laissent aucun répit aux personnages, comme celui du son de Philippe Cachia - sourds grondements qui montent, menaçants et juste un chant (Prince) vers la fin, déchirant - soulignent combien ici les hommes sont les jouets de puissances qui les dépassent. D'ailleurs, ils ploient, ils plient sous le poids de ces forces adverses...
Le travail sur le vers est remarquable qui n'érode rien de la beauté de l'alexandrin mais l'arrache à toute musique répétitive. Tout semble couler de source. Chéreau a coupé ici et là. Laissons aux savants les discussions savantes. Mais, c'est vrai, on ne comprend pas pourquoi il faut remplacer « voiles » par « tout cela » dans l'un des vers les plus célèbres (« Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! »). C'est dommage d'autant que la plupart des coupes ont un sens très fort qui accentuent la désespérance.
Il y a quelque chose de profondément janséniste dans la vision de Patrice Chéreau. Quelque chose d'âpre, de terrible. C'est beau. Il va aux nerfs. Il dégage l'os.
Les suivantes, Panope (Nathalie Bécue) et Ismène (Agnès Sourdillon) sont tenues par deux comédiennes au plus haut de leur art, dans la fermeté pour la première, dans la nervosité contenue pour l'autre. Michel Duchaussoy est un Théramène noble et aimant, sobre, tenu, tendrement tendu. C'est très beau. Le couple Arice/Marina Hands, Hippolyte/Eric Ruf, est tiré vers une sourde gémellité. Elle n'a rien de fragile. C'est une combattante. Moyens sûrs, beauté, traits d'enfant. Il est rétif, fier, troublé, coupable. Il se croit coupable d'aimer. Exactement comme Phèdre. Eric Ruf, sociétaire de la Comédie Française, acteur de forte personnalité, est remarquable dans l'ardeur comme dans la vulnérabilité. Les scènes avec son père Thésée que campe avec une autorité détachée, quelque chose de mélancolique, Pascal Greggory, sont magnifiques de violence désastreuse et ambivalente. Christiane Cohendy donne à Oenone la sincérité et l'entêtement funeste qu'appelle Racine. Elle laisse affleurer la mauvaise mère des contes cruels dans ses relations avec Phèdre. Dominique Blanc dans l'émotion contenue, le ravage, la peur - Phèdre qui n'est que pureté déteste ce qui la mine -, dans le tourment destructeur, atteint des sommets sans effets. Elle est de dedans cette Phèdre maudite qui désire jusqu'au fer d'Hippolyte, qui désire la mort.
Une vision qui renouvelle tout. Chéreau s'appuie sur la version de 1677, sur cette ponctuation que l'on ne connaissait pas. Il ose. Il éclabousse de sang le plateau. Il extirpe Shakespeare de Racine. Il cite Koltès. Il étonne.
Odéon-Théâtre de l'Europe aux Ateliers Berthier, à 20 h du mardi au samedi, à 15 h le dimanche. Durée : 2 h 10 sans entracte. Jusqu'au 2 avril. (01.44.85.40.40). Places en vente sur place à partir de 18 h 30 en semaine.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature