LE dispositif du médecin traitant et des parcours de soins sera au cœur des prochaines négociations conventionnelles. Certes, leur bon déroulement risque d'être parasité par d'autres questions qui préoccupent beaucoup les médecins libéraux, en particulier la permanence des soins et la classification commune des actes médicaux (Ccam) technique, pour lesquelles rien n'est encore réglé après des mois de vaines discussions.
Mais le temps presse. Surtout lorsque l'on se rappelle que l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) est fixé par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale à + 2,1 % en 2005 pour les soins de ville (+ 3,1 % à périmètre constant).
Néanmoins, « le médecin traitant et les parcours de soins ne sont pas des outils prioritairement de maîtrise des dépenses mais d'amélioration de la qualité des soins », a souligné dans nos colonnes le nouveau directeur général de l'Uncam et de la Cnam, Frédéric van Roekeghem (« le Quotidien » du 20 octobre), même si, ajoutait-il aussitôt, la négociation conventionnelle doit déboucher sur « des éléments permettant à la fois de soigner mieux et d'être porteurs d'économies ».
• LES MODALITÉS D'APPLICATION DU DISPOSITIF
Généraliste ou spécialiste, et librement choisi par tout assuré social ou ayant droit âgé de 16 ans et plus avec son accord, le médecin traitant orientera le patient dans le système de santé et sera donc « le pivot de l'accès coordonné » aux soins, selon Frédéric van Roekeghem.
Sauf circonstances particulières (urgence, déplacement ou vacances, absence du praticien choisi...), le médecin traitant devra par conséquent être consulté en premier recours par le patient avant de l'adresser, le cas échéant, vers un médecin spécialiste, un praticien hospitalier ou un généraliste. Toutefois, le patient pourra revoir ensuite ce second médecin sans repasser par la case « médecin traitant », dès lors qu'il respectera un parcours balisé par un protocole de soins (notamment s'il est pris en charge au titre d'une affection de longue durée) ou par « un plan de soins coordonnés » conclu entre son médecin traitant et un spécialiste.
Plusieurs sondages ont corroboré le fait que les médecins libéraux adhèrent globalement, dans leur grande majorité, au dispositif du médecin traitant. Une enquête du syndicat MG-France, menée auprès de 15 000 généralistes, montre que plus de huit omnipraticiens sur dix s'approprient cette fonction. De même, le sondage publié par « le Quotidien » le 27 septembre montrait que 83 % des généralistes approuvaient cette disposition (alors que 73 % des spécialistes la rejetaient).
Mais, au-delà de ce consensus apparent des généralistes autour de principes simples, force est de constater des divergences de vue entre les syndicats négociateurs sur les modalités du dispositif, ce qui ne manquera pas d'épicer les discussions conventionnelles à venir.
Bonne nouvelle pour les futurs médecins traitants : le futur patron de l'Uncam trouve « naturel de réfléchir à la valorisation de ce rôle fondamental de coordination autour du patient ». Il reste à savoir comment et pour quel montant.
La Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) a, pour sa part, étudié très précisément la question, au risque peut-être d'avoir à se déjuger ultérieurement, si elle est amenée à faire des concessions pour aboutir à un accord. La Csmf propose une montée en charge progressive du dispositif en commençant par les patients en affection de longue durée (ALD). Elle envisage une rémunération du médecin traitant sous la forme d'un « forfait annuel de 46 à 50 euros par patient » dans le cadre d'un contrat de santé publique (CSP). La Csmf sait déjà où dénicher « 106 millions d'euros » sur les 276 millions d'euros que coûteraient au minimum les médecins traitants des 6 millions de personnes en affection de longue durée (ALD) en année pleine. Il suffit, selon elle, de redistribuer l'enveloppe des rémunérations payées actuellement au titre des consultations lourdes annuelles destinées aux ALD (Cald à 26 euros), des Pires protocoles inter-régimes d'examen spécial à 50 euros) et des médecins référents (forfait annuel de 46 euros par patient et par an).
Cette remise en cause des « acquis » des généralistes fait bondir le président de MG-France. « On ne va pas déshabiller Pierre pour habiller Paul ! », proteste le Dr Pierre Costes. Cependant, MG-France prend acte qu'une large majorité de généralistes, interrogés en octobre par ce syndicat, souhaitent « une revalorisation et des moyens nouveaux » pour devenir médecin traitant.
Pour le président du Syndicat des médecins libéraux (SML), le médecin traitant « n'a pas à être payé pour son statut », d'autant qu'un forfait « l'apparenterait trop au médecin référent » et que certains patients consultent seulement « tous les trois ans ». Le Dr Dinorino Cabrera considère donc que le médecin traitant doit être « rémunéré pour des tâches spécifiques » (bilan de Pires, dossier médical, etc.).
La question de la rémunération du médecin traitant est de toute façon indissociable de celle des 7 500 médecins référents qui ont un cahier des charges plus épais (génériques, tiers payant, participation à la permanence des soins, formation). Mais, là encore, les avis divergent sur l'avenir de l'option référent. Le Dr Costes soutient que la loi du 13 août 2004 a tranché en faveur d'une coexistence pacifique entre les deux dispositifs, tandis que le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, verrait d'un bon œil « tous les référents devenir médecins traitants et puis, terminé ! Rideau ! ».
• LA COORDINATION AVEC LES MÉDECINS SPÉCIALISTES
Comme il ne fait aucun doute que les médecins traitants seront des généralistes dans leur grande majorité, la Fédération des médecins de France (FMF) s'est émue de les voir « se transformer en distributeur de tickets pour accéder à la médecine spécialisée » au risque de « marginaliser » celle-ci. Son président, le Dr Jean-Claude Régi, dit oui à la coordination, mais à travers « un dossier médical simple et ergonomique » et non « des parcours virtuels de soins »via le médecin traitant. Au sein du syndicat Alliance, le Dr Félix Benouaich craint, lui, une atteinte au libre choix du spécialiste, si les médecins traitants se montrent « dirigistes et organisés en réseaux de copinage ».
Le recours prioritaire au médecin traitant se soldera probablement par une baisse d'activité des spécialistes, mais Dinorino Cabrera assure qu'elle n'entraînera pas une diminution de leurs revenus, « grâce à la rémunération de la coordination et aux dépassements d'honoraires autorisés en accès direct ».
Le président d'Alliance rêve de consultations spécialisées tarifées systématiquement en C 2, soit 40 euros, en tant qu' « avis de consultant », avec compte rendu au médecin traitant.
La Csmf et le SML estiment que la cotation en C 2 du consultant doit rester réservée aux consultations spécialisées ponctuelles (sans suivi ultérieur), même si elle devrait être étendue aux anciens CES (certificats d'études spécialisées d'avant 1984).
Hormis le C 2, la Csmf et le SML évaluent souvent en interne à 30 euros la rémunération des consultations spécialisées dans un parcours de soins coordonnés. Valorisé, le tarif de ces dernières serait « opposable et bien remboursé » aux patients. Un « plus » alors que la jungle tarifaire créée par les nombreux dépassements en secteur I risque de durer avec le retard pris par la refonte des consultations (classification commune des actes médicaux cliniques).
• ACCÈS LIBRE SANS COORDINATION NI PROTOCOLE DE SOINS
Les dépassements d'honoraires autorisés à certains médecins spécialistes de secteur I, lorsque les patients les consultent directement, de leur propre initiative et sans suivre de protocole de soins préétabli, constituent LE sujet délicat des prochaines négociations conventionnelles. On s'en souvient, la question de l'ouverture d'un « espace de liberté tarifaire » pour les spécialistes, notamment en accès direct, fut le point d'achoppement des précédentes négociations conventionnelles qui finirent par échouer en avril 2003. A l'issue de l'une des dernières séances plénières, l'ex-président de la Cnam, Jean-Marie Spaeth, avait déclaré en substance que la liberté tarifaire ne pourrait passer que par la loi et non par lui. Depuis, non seulement la loi réformant l'assurance-maladie a offert à certains spécialistes la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires, mais l'accord conclu le 24 août avec les chirurgiens libéraux laisse même entendre que 4 000 spécialistes installés en secteur I (anciens chefs de clinique, anciens assistants des hôpitaux...) pourraient choisir le secteur II à honoraires libres au 30 juin 2005. Les syndicats médicaux espèrent bien que la mise en musique de la loi et de l'accord des chirurgiens se fera sans encombres, maintenant que Frédéric van Roekeghem, « cheville ouvrière » de ces deux textes, a quitté le cabinet du ministre, Philippe Douste-Blazy, pour rejoindre la direction générale de la Cnam et de l'Uncam.
Toutefois, le secrétaire d'Etat à l'assurance-maladie Xavier Bertrand a rappelé récemment aux députés que les dépassements d'honoraires autorisés seraient « limités » chez les spécialistes et que le gouvernement « refuse d'étendre le secteur II » au nom de « l'égalité aux soins ». Quant à Michel Regereau, nouveau président Cfdt de la Cnam et de l'Uncam, il a mis aussi les points sur les « i » le jour de son élection en excluant « que le cadre économique, forcément contraint, débouche sur le développement d'une liberté tarifaire généralisée ».
Confronté à une base de médecins spécialistes très agités et attachés à leurs DE, Michel Chassang souhaite que la marge de manœuvre des spécialistes en matière de dépassements soit limitée seulement par « le tact et la mesure », ou, à la rigueur, plafonnée à « 30 ou 40 % » de l'activité de chaque praticien.
Dinorino Cabrera s'interroge sur la prise en charge ou non des dépassements par les complémentaires. Il se demande aussi s'il y a moyen de négocier « moins de limites pour les DE en secteur I » en proposant aux caisses d' « inciter les spécialistes de secteur II [36 % du total, Ndlr] à faire des actes en tarif opposable, en contrepartie d'une prise en charge proratisée de leurs cotisations sociales ».
Autre point de la négociation : le déremboursement des consultations. En effet, quand le patient pratiquera du « hors piste » pour se faire soigner, il s'exposera non seulement à des dépassements chez certains spécialistes libéraux consultés en accès direct, mais aussi à une majoration du ticket modérateur, autrement dit à un déremboursement partiel par la Sécurité sociale des actes concernés. A la Csmf, on refuse cette idée de « double peine » prévue par la loi (dépassements et déremboursement), sauf lorsque le patient a refusé de choisir un médecin traitant. Le SML suggère, au contraire, un remboursement des consultations spécialisées sur la base de 20 euros seulement, sur le modèle des visites à domicile non justifiées.
Le schéma relativement simple de la loi donne la part belle aux partenaires conventionnels pour dessiner les contours du dispositif du médecin traitant et des parcours de soins. Mais la multitude de déclinaisons qu'il rend possible sur le plan pratique, combinées aux divergences syndicales, risque de ralentir le cours des discussions. Et donc l'élaboration de la convention.
83 % des Français prêts à franchir le pas
Les Français sont prêts à choisir un médecin traitant. Tel est, en substance, l'enseignement d'un sondage TNS-Sofres (1) pour la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam). Cette enquête révèle en premier lieu que 75 % des personnes interrogées ont l'impression de savoir ce qu'est un « médecin traitant déclaré », terme reconnu dans toutes les catégories de population.
Dans l'esprit des Français, la notion de médecin traitant recoupe celle de « médecin de famille », c'est-à-dire le praticien auquel ils s'adressent en priorité en cas de problème de santé : 92 % des personnes interrogées déclarent à cet égard avoir aujourd'hui un médecin de famille. Dans la minorité de Français qui affirment ne pas en avoir, on trouve « 15 % des moins de 35 ans », mais aussi « 14 % des Parisiens ». Ce qui confirme que la référence au médecin de famille est quasi systématique en province. Pour autant, les Français sont-ils disposés au changement, autrement dit à choisir délibérément un médecin traitant (comme ils pourront le faire à partir de janvier 2005) et à s'engager à « passer systématiquement par lui »? Même ainsi posée, la question ne les effraie pas : selon ce sondage, 83 % des Français déclarent être prêts à accepter cette nouvelle forme de coordination des soins via le médecin traitant (dont 91 % des ouvriers et 91 % des habitants des communes de moins de 2 000 habitants); à l'inverse, 15 % des sondés ne sont « pas prêts » à s'engager à passer systématiquement par un médecin traitant. Parmi les récalcitrants, on trouve « 28 % des cadres et professions intellectuelles », un quart des Parisiens et 38 % de ceux qui déclarent ne pas avoir de médecin de famille. Selon le sondage, l'acceptation du médecin traitant semble liée « au mode de consultation déjà en place selon les franges de la population ».
(1) Réalisé les 13 et 14 octobre auprès d'un échantillon national de 1 009 personnes (méthode des quotas).
Accès direct maintenu pour certaines spécialités
Les Français consultent aujourd'hui un médecin spécialiste en accès direct dans seulement un cas sur trois en moyenne. En revanche, le taux de consultations en accès direct dépasse allègrement les 50 % et frise les 90 %, en particulier, pour les ophtalmologistes. Cet état de fait, ainsi que « la peur du lobby féminin » incarné par le Comité de défense de la gynécologie médicale, aux dires d'un expert, a conduit le ministre de la Santé puis la Cnam à annoncer le maintien d'un accès libre des patients (sans pénalité financière) à quatre spécialités : les gynécologues médicaux, les ophtalomologistes, les psychiatres et les pédiatres (d'autant que leurs patients de moins de 16 ans ne sont pas tenus de choisir un médecin traitant).
La nouvelle est diversement accueillie. D'une part, les spécialistes concernés ne veulent « pas être privés » de la bouffée d'oxygène accordée aux autres. D'autre part, d'autres spécialistes comme les ORL et les dermatologues, eux aussi fréquemment consultés en accès direct, redoutent de perdre en partie leur patientèle.
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