Congrès Hebdo
Douleurs chroniques cancéreuses et non cancéreuses
Du bon usage des opioïdes forts
LES OPIOIDES FORTS agissent par leur affinité pour les récepteurs aux morphiniques. De cet ensemble de molécules sont exclus les antalgiques de palier II qui, pourtant, sont partiellement métabolisés en morphine (tels que la codéine) ou possèdent une faible activité sur certains récepteur opioïdes (comme le tramadol sur les récepteurs mu), mais dont l'action principale intervient sur d'autres relais de la douleur. Trois molécules du groupe des opioïdes forts possèdent aujourd'hui une autorisation de mise sur le marché pour le traitement en première intention de la douleur cancéreuse. Il s'agit de la morphine à libération prolongée (Kapanol LP, Moscontin LP, Skenan LP), de l'oxycodone à libération prolongée (OxyContin LP) et du fentanyl transdermique (Durogésic). L'hydromorphone (Sophidone LP) fait également partie des opioïdes forts mais n'est indiquée qu'en deuxième intention pour le traitement de la douleur cancéreuse, lorsque la morphine n'est pas ou n'est plus efficace, ou lorsque l'apparition d'effets secondaires de la morphine impose l'arrêt du traitement. Elle trouve donc sa place dans le protocole de rotation des morphiniques.
60 mg par jour de morphine.
La prise en charge de la douleur chronique est très différente selon son origine cancéreuse ou non. Dans le premier cas, si l'intensité de la douleur le requiert, on fera très vite appel aux formes à libération prolongée de la morphine, car le principal combat du patient cancéreux doit être mené contre sa maladie et non contre la douleur qu'elle provoque. On adjoindra le cas échéant à la morphine à libération prolongée des interdoses de morphine à action immédiate, équivalentes au maximum au sixième de la dose totale journalière, en cas de paroxysmes douloureux ou en prévention de la douleur provoquée par des soins ou une mobilisation du malade.
Ainsi, chez le patient cancéreux douloureux chronique, on débutera par deux prises quotidiennes de 30 mg de morphine à libération prolongée, ce qui équivaut à deux prises de 10 mg d'oxycodone LP ou encore à un patch de fentanyl transdermique délivrant 25 microgrammes par heure. Si la douleur requiert plus de quatre interdoses par jour, il convient le lendemain d'augmenter au maximum de moitié la posologie quotidienne de la morphine à libération prolongée. Le traitement préventif de la constipation doit être prescrit systématiquement.
La rotation des opioïdes.
Dans le cadre du traitement de la douleur cancéreuse chronique, la stratégie dite de rotation des opioïdes consiste à remplacer un morphinique par un autre dans l'objectif d'améliorer le rapport bénéfice/risque qui peut devenir moins favorable en cas, par exemple, de tolérance à la morphine (analgésie insuffisante malgré l'augmentation des doses) ou en cas d'apparition d'effets indésirables trop importants. Cette stratégie s'appuie sur le fait que la tolérance à un morphinique ne s'accompagne pas toujours de tolérance à un autre morphinique, que les différents opioïdes ont des affinités variables pour les divers récepteurs aux morphiniques et enfin que le métabolisme de ces produits varie d'une molécule à l'autre. La rotation des opioïdes doit toutefois répondre à des indications bien définies et être entreprise avec un ajustement posologique très précis qui repose sur les tables d'équivalence des morphiniques.
La prise en charge, cette fois, de la douleur chronique non cancéreuse (neuropathique, ostéoarticulaire ou dermatologique notamment) pose le problème des effets secondaires à long terme, connus et inconnus, des morphiniques : troubles sexuels, troubles de la vigilance impliquant une majoration du risque de la conduite automobile, phénomène de tolérance et d'addiction, mais également effets à long terme aujourd'hui encore non prouvés sur le système immunitaire...
On privilégiera donc, dans tous les cas, les antalgiques non morphiniques en respectant les paliers de l'OMS, même s'il apparaît qu'une partie des patients douloureux chroniques non cancéreux peut bénéficier des opioïdes forts. Chez ces derniers, le recours aux formes à libération prolongée ne sera pas aussi systématiquement proposé. Chez le sujet âgé, notamment, la titration par la morphine à action immédiate est au contraire nécessaire avant le passage aux formes LP.
Les recommandations de Limoges.
Le Cercle d'étude de la douleur rhumatologique a émis en 1999 des recommandations sur l'utilisation de la morphine en rhumatologie non cancéreuse connues sous l'appellation de « recommandations de Limoges ». Elles insistent sur l'évaluation initiale du patient qui comprend la synthèse de l'histoire de la maladie et des thérapeutiques entreprises, s'appuie sur un avis psychiatrique spécialisé dans le cas de pathologies mal définies, de sujet très jeune, d'abus médicamenteux, de suspicion de troubles psychiatriques, et sur une évaluation de la douleur et de son retentissement. A chaque visite, on recherchera des signes orientant vers un mésusage, un abus ou une dépendance psychique. L'augmentation trop rapide des doses devra faire reconsidérer l'indication du traitement.
Enfin, en cas de décision d'arrêt du traitement, on diminuera progressivement les doses - 50 % de la dose précédente pendant une semaine - et on recherchera des signes de sevrage.
D'après un entretien avec le Dr Agnès Langlade, consultation d'évaluation et traitement de la douleur, hôpital Tenon, Paris.
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