SOYO, à une heure de vol de Luanda. Les deux véhicules tout-terrain estampillés Total E&P Angola quittent le dernier tronçon de route goudronnée pour s’élancer sur la piste de terre qui mène à Sumba. Dans l’une des voitures, le Dr Claudie Dousset, de l’association Douleur sans Frontières, est dans l’humanitaire depuis 1989. Elle anime depuis deux ans, avec son équipe de douze personnes, le programme de santé rurale mis en place par le groupe pétrolier dans cette province du nord de l’Angola, à proximité de ses installations onshore.
Au menu de la journée, une consultation dans l’une des quatre communes, avec Manga Grande, Quelo et Pedra do Feitiço, couvertes par le programme, soit 39 des 83 villages qui reçoivent environ une fois tous les mois et demi la visite de l’équipe. «Avant de commencer le programme, nous avons établi un recensement précis de toute la population, en allant de village en village et maison par maison», explique le Dr Dousset, sexagénaire au visage buriné et volontaire.
Un travail de titan qui forge ses premières relations avec les 27 000 villageois de la zone. Aujourd’hui, elle semble tous les connaître et ils la saluent tout le long du parcours. La piste cahoteuse n’a également plus de secret pour elle. «Quelquefois, pendant la saison des pluies, il est impossible de passer. On perd en moyenne une semaine par an», commente-t-elle, lorsque Tony, le chauffeur, réussit une habile manoeuvre pour franchir une des nombreuses ravines qui creusent le chemin. Le problème, c’est la mangrove, «un lac de moustiques», explique la french doctor. Dans chacun des villages, le Dr Dousset semble observer ses patients. Un jeune garçon d’une dizaine d’années la salue : «Il n’a pas pris son albendazole», constate-t-elle en observant son ventre ballonné. De cette vieille dame assise devant sa maison, elle assure qu’ «elle a plus de 80ans et se porte bien». Et de cette jeune femme qui lave son linge à la rivière : «Elle a 13enfants et n’en a perdu qu’un seul à cause d’une rougeole.» Lorsqu’elle croise un groupe d’hommes se rendant au champ, elle ne peut s’empêcher de faire partager cet autre projet qui lui tient à coeur : «Faire venir une fois tous les trois mois un ophtalmologue pour opérer les cataractes ou les onchocercoses. Les problèmes oculaires sont nombreux, et il suffirait d’une simple opération pour que ces hommes puissent continuer à travailler et à nourrir leur famille.»
Cela fait maintenant plus d’une heure que Tony mène son véhicule à travers les 40 km de piste poussiéreuse vers Sumba, qui n’est plus très loin. Le Dr Dousset tient à montrer le jardin potager aménagé juste en contrebas de la route : «Ici, on cultive le maïs et le manioc. Or tout pourrait pousser, la terre est fertile. Encourager la diversification permettrait de mieux lutter contre la malnutrition», dit-elle avec enthousiasme, après avoir promis aux jardiniers de revenir bientôt pour la deuxième injection du vaccin antitétanique.
Jour de fête.
A l’arrivée à Sumba, c’est jour de fête. Tout le village est là, avec à sa tête le soba (chef de village), qui, dès le départ, a été associé au projet. L’accueil est chaleureux, presque solennel. Discours et chants de bienvenue, entonnés par une chorale d’enfants, se succèdent, tandis que l’équipe médicale installe les tables de consultation sous le manguier au centre du village. Chacun des infirmiers est responsable de son domaine d’intervention : la pharmacie (une malle pleine de médicaments), la vaccination, la consultation des adultes, la consultation des femmes enceintes qui se déroule sous une tente. La visite peut commencer dans un apparent désordre. Juste à côté des tables, le téléviseur apporté par l’équipe médicale diffuse un film de prévention sur le sida, et les enfants attroupés tout autour ont déjà l’air absorbés. Claudie Dousset assure la consultation pédiatrique, aidée par Aguinaldo, dont la connaissance des dialectes est précieuse. La file des mères portant leur enfant sur le dos ne semble jamais se tarir. L’une d’elles amène son bébé de 3 semaines un peu fébrile. Après la pesée à l’aide d’une balance à crochet munie d’une selle en forme de couche, c’est l’infirmier qui se charge de fournir le traitement qui vient d’être prescrit : érythromycine et paracétamol. Cet autre bébé de 3 mois est hypotonique et présente un muguet, la mère est anémiée. Test pour le palu, mesure de l’hémoglobinémie, lavage de nez sont réalisés sur place. Des moustiquaires imprégnées sont distribuées aux enfants les plus jeunes. Le Dr Dousset rassure, explique, sermonne. A cette mère qui a déjà introduit du maïs dans l’alimentation de son enfant de tout juste 3 mois, qu’elle allaite par ailleurs, le conseil sera ferme : «Il faut arrêter le maïs.» Des taches noires sur les dents : «C’est le plomb des sources, s’inquiète-t-elle , il faudrait une enquête environnementale.» Beaucoup d’anémies, quelques diarrhées à shigelles, car la saison chaude commence. Un garçon de 14 mois est amené par des parents au regard inquiet. Il ne pèse que 7 kg et surtout présente de multiples scarifications sur le corps.
Un cri du chat .
Le médecin questionne la famille et, en aparté, confie : «C’est un cri du chat.» Elle soupçonne une consanguinité. Les parents pensent sans doute à un mauvais sort, ce qui explique les scarifications. De temps en temps, le Dr Dousset interrompt sa consultation pour donner un avis à l’infirmier qui, à la table d’à côté, assure la consultation des adultes. En deux heures, ils auront vu une trentaine de personnes, enfants, adultes et femmes enceintes. «D’habitude, nous commençons à 8heures et terminons aux environs de 15heures», souligne-t-elle. Une moyenne de 100 à 120 personnes par jour de consultation. Ce jour-là, il n’y aura pas eu d’urgence ni d’évacuation sur l’hôpital de Soyo. «Mais cela arrive. Les patients sont transportés sur une civière dans un des véhicules prévus pour cela.» Les cas les plus graves sont évacués par avion vers Luanda. La trypanosomiase a récemment provoqué deux décès, dont celui d’une mère de 21 ans qui laisse deux enfants.
Les situations délicates, le Dr Dousset sait les gérer. Pendant vingt-quatre ans, elle a été responsable des urgences pédiatriques à Marseille. C’est à la suite d’une grave maladie dont elle sort guérie qu’elle décide de s’engager dans l’aide humanitaire. Après le Congo, l’Indonésie, le Burkina, la Guinée et le Sénégal, la voilà en Angola. Et tous, autour d’elle, semblent avoir un immense respect pour ce petit bout de femme qui n’hésite pas à donner d’elle-même et qui se décrit comme «sévère et juste, exigeante d’abord avec soi avant de l’être avec les autres». Surtout, insiste-t-elle, «il ne faut jamais oublier que l’on n’est pas chez soi». Une petite grande dame, comme la qualifie Rui Diego, responsable de la division développement durable chez Total.
Le programme de Soyo est emblématique de la volonté du groupe de s’impliquer dans des actions durables dans les domaines de la santé, mais aussi de l’éducation et du développement économique. Pour cela, il s’appuie sur des ONG localement bien implantées, avec l’accord des autorités et notamment de la compagnie pétrolière locale Sonangol. «Nous ne pouvions pas être en Angola et ignorer les difficultés du pays», affirme Olivier de Langavant, le directeur général. Des outils d’évaluation et des indicateurs adaptés aux différents terrains d’intervention sont mis en place, comme les fiches de suivi de patients, les carnets de vaccination et les dossiers de formation des personnels. Le bilan des actions à Soyo est d’ores et déjà positif, avec une mortalité en baisse (de 28 % environ en 2005 à 2,9 % au cours du premier semestre 2006) uniquement par le traitement systématique des anémies, la prévention du paludisme (en baisse de 14 %), une meilleure couverture vaccinale des enfants et la vaccination contre le tétanos systématique des femmes enceintes. Au vu des résultats, le programme devrait être étendu à toute la province du Zaïre.
Prévention auprès des jeunes.
Dans la capitale, d’autres actions sont menées, telles que le projet de prévention des IST et du VIH sida avec le CAJ (Centre des amis des jeunes), une association angolaise, une ONG angolaise créée par des médecins et aujourd’hui présidée par le Dr Massokolo. Le CAJ dispose d’un laboratoire et est la seule des cent vingt ONG que compte le pays à proposer un dépistage rapide (une dizaine de tests sont effectués chaque jour). Il assure l’accueil des jeunes, effectue du conseil, assure des consultations de gynécologie-obstétrique grâce à deux médecins présents trois fois par semaine et un psychologue (deux fois par semaine). Grâce au partenariat avec Total, les locaux ont pu être réhabilités, et un programme de formation des personnes relais a été mis en place et assuré par des intervenants extérieurs, les Drs Jean-Elie Malkin et Kemal Cherabi. Le programme bénéficie du soutien de l’Institut Pasteur, qui a passé avec Total une convention de mécénat destinée à renforcer les moyens scientifiques et humains mis au service de la lutte contre les maladies infectieuses.
L’énigme du sida
Les dernières données de l’OMS évaluent la prévalence du VIH en Angola à 2,5 % (contre 5,5 % en 2003), un niveau relativement faible si on le compare à celui de ses voisins comme la Namibie (23 %) ou le Botswana (39 %). En 2003, l’organisation internationale jugeait la situation préoccupante en raison des déplacements massifs de population après les trois décennies de guerre. «De telles conditions pourraient bien être l’amorce qui fera brusquement exploser l’épidémie», estimait l’OMS, qui avançait le chiffre de 18 % à l’horizon de 2010.
Les données sont plutôt rassurantes, mais «nous ne sommes peut-être que dans une période de transition, et il ne faudrait pas relâcher les stratégies de prévention, explique le Dr Fatoumata Binta T. Diallo. On observe d’ailleurs que deux épidémies coexistent, puisque la séroprévalence atteint 10,9% dans le sud du pays, dans la province de Cunene, à la frontière avec la Namibie».
Deux hypothèses sont avancées pour expliquer cette prévalence relativement peu importante. La première tient à l’isolement dans lequel s’est maintenu le pays du fait de la guerre avec un déplacement des populations limité à l’intérieur du territoire. L’autre hypothèse concerne la possible protection conférée par la circoncision masculine, une pratique très répandue dans cette partie de l’Afrique australe.
Quelle que soit l’explication retenue, la vigilance reste de mise, car «l’accès universel au dépistage et au traitement est loin d’être atteint», affirme l’OMS. Parmi les 250 000 personnes infectées, 20 % ont besoin d’un traitement et seulement 4 200 bénéficient des antirétroviraux.
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