DE NOTRE CORRESPONDANTE
LORSQU'ELLE est tombée sur la petite annonce proposant le poste, Stéphanie Liénard a été plutôt intriguée. Un temple du jeu recrutant une psychologue clinicienne. L'idée semblait insolite, voire paradoxale. Une rencontre avec les responsables du casino Barrière l'a rapidement convaincue de l'intérêt de la mission. Et, depuis le 1er novembre, elle travaille trois nuits par semaine au casino, à l'affût des dérapages éventuels des joueurs.
Après dix années passées dans les ressources humaines, cette jeune femme a repris le chemin de l'université pour passer un master de psychologie. Diplôme en poche, elle décroche son premier poste au service d'addictologie du CHRU de Lille, où elle assure des remplacements avant d'accepter l'offre du casino Barrière. «En France, tout est à faire dans ce domaine. La prise de conscience du risque d'addiction au jeu est très récente. Elle s'est faite dans les années 1980, avec l'explosion des machines à sous, et l'augmentation parallèle des demandes d'interdiction de jeu. La prise en charge des joueurs compulsifs est encore balbutiante, et il a fallu attendre 2006 pour que le plan Addictions évoque l'abus de jeu…»
Pour la jeune femme, le jeu de hasard peut devenir une addiction, exactement comme l'alcool ou la drogue. Les ressorts psychologiques sont les mêmes, et l'effet recherché identique. «Lorsqu'il gagne, le joueur ressent une espèce de “shoot”, il est restauré sur le plan narcissique. Et, par la suite, il va constamment rechercher cette première impression de plaisir, cette “sensation”. Le danger est qu'il ne parvienne plus à se limiter dans cette quête.»
A l'affût des signes avant-coureurs.
Pour parer les dérives éventuelles, Stéphanie Liénard est à l'affût de signes avant-coureurs : un joueur complètement pris par le jeu, dont le comportement se rigidifie, ou qui multiplie les allers et retours en caisse pour aller chercher des jetons. Le personnel est également sensibilisé : si un client devient un peu agressif, ou traîne au bar, en tenant des propos désabusés, le serveur alerte la psychologue. «Je fais essentiellement de la prévention. Si un joueur me semble en difficulté, je l'aborde pour le mettre en garde et lui proposer éventuellement mon aide. La première réaction est en général le déni. Mais par la suite, ils reviennent me voir. Parfois, c'est la femme d'un joueur qui demande à me rencontrer, car le comportement de son mari l'inquiète…»
L'addiction au jeu peut en effet entraîner un véritable naufrage. La personne se ruine, vend sa maison et rompt toute relation sociale. «Des personnes qui n'avaient aucun passé de délinquant se mettent à commettre des délits pour trouver de l'argent. Chez les personnes économiquement fragiles, on est très vite dans une spirale dangereuse.»
Pour éviter ces dérives, la psychologue du casino lillois informe et sensibilise les joueurs au risque de l'abus de jeu. Lorsque c'est nécessaire, elle les oriente vers les professionnels spécialisés. Mais les ressources dans ce domaine sont encore très limitées : aucun groupe de parole en France, une seule ligne téléphonique de soutien aux proches et pas de service hospitalier spécialisé, si l'on excepte le centre nantais. «Je souhaite contribuer à créer une vraie filière, avec un réseau de professionnels spécialisés.» Une première convention vient d'être signée avec le service d'addictologie du CHRU de Lille pour créer une consultation spécialisée.
Les besoins sont considérables : en France, on évalue à 300 000 le nombre de joueurs compulsifs. Et ce chiffre ne fait qu'augmenter.
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