PAR LES Drs JACQUES LAGIER*, CELIA MASCHI** et AURELIEN FRETON**
L'OPHTALMOLOGISTE représente un interlocuteur de choix pour orienter et informer les patients dans le domaine esthétique. Cependant, la surmédiatisation de la chirurgie plastique a, par le passé, fréquemment conduit les patients à penser que les ophtalmologistes n'étaient pas nécessairement compétents dans ce domaine.
Le décret du « Journal officiel » 2005-777 du 11 juillet 2005 a éclairci la situation en permettant à diverses spécialités, dont l'ophtalmologie, de pratiquer l'esthétique dans le cadre de leur compétence ordinale.
Les voies spécifiques de formation.
Au niveau universitaire, la formation est principalement dispensée par l'intermédiaire du diplôme interuniversitaire (DIU) de chirurgie orbito-palpébrale, qui regroupe les universités de Nice, Reims, Limoges et Nancy, avec la participation de la fondation Rothschild. Il est ouvert à tous les spécialistes intéressés : ophtalmologistes, mais aussi plasticiens, chirurgiens maxillo-faciaux, ORL et neurochirurgiens.
Au niveau hospitalier, on retrouve dans chaque région un chirurgien oculoplastique et un service référent qui permettent d'effectuer les stages pratiques indispensables à cette formation.
De nombreux congrès sont organisés chaque année sur le thème de l'oculoplastique :
– à Nice, pour les Journées de chirurgie orbito-palpébrale (Dr Jacques Lagier) ;
– à Paris, pour les Journées de la Fondation Rothschild (Dr Serge Morax) ;
– à Paris encore, dans le cadre du DIU de microchirurgie de l'Hôtel-Dieu (Dr Bruno Fayet) ;
– sessions d'oculoplastique aux Ateliers d'ophtalmologie pratique (AOP) et aux Journées de réflexion ophtamologiques (JRO).
Cette liste n'est pas exhaustive.
Nous citerons comme autre voie de formation actuellement accessible aux ophtalmologistes un diplôme universitaire (DU) orienté vers la chirurgie esthétique et réparatrice de la face, coordonné par le Pr François Disant (CHU de Lyon).
Le domaine d'investigation.
Dans le cadre de la chirurgie oculoplastique, les rapports entre pathologie et esthétique sont prépondérants.
L'exemple le plus commun est celui de la paupière sénile (figure 1) qui présente des caractéristiques variées liées au vieillissement et pour lesquelles la demande des patients peut concerner le domaine fonctionnel ou esthétique. Le dermatochalasis, l'entropion et l'ectropion, le ptosis, l'impression d'oeil enfoncé ou enophtalme sont autant d'aspects pathologiques à retentissement esthétique important pour lesquels un traitement chirurgical peut être proposé.
La maladie de Basedow (figure 2) provoque d'importantes modifications du regard par l'exophtalmie et la rétraction palpébrale générées. Elle représente, par sa prise en charge esthétique, un enjeu majeur dans la diminution du retentissement psychologique et la réhabilitation socioprofessionnelle du patient.
Le xanthélasma (figure 3), constitué de dépôts lipidiques palpébraux intradermiques, est une demande fréquente.
Les actes proposés.
Il s'agit principalement de la blépharoplastie esthétique supérieure (figure 4) et/ou inférieure. Elle consiste en une excision de l'excès cutanéo-graisseux développé au niveau des paupières au cours du vieillissement, et peut être associée à d'autres actes chirurgicaux. Elle est pratiquée par voie d'abord cutanée ou conjonctivale.
L'injection de produits de comblement de synthèse (hyaluronate de sodium) ou naturels (graisse autologue, lipofilling) est surtout indiquée dans le comblement des sillons naso-géniens. Par ailleurs, ces produits sont également utilisés pour le comblement des rides naso-frontales, plus rarement au niveau des rides de la patte d'oie, ainsi que dans le traitement des cernes par injection au niveau de la vallée des larmes. L'apport de graisse autologue, outre l'effet volumateur, serait bénéfique sur la qualité du plan cutané.
La toxine botulique (figure 5) est le produit typique d'une spécificité ophtalmologique. Elle a été utilisée pour la première fois en 1973 par un ophtalmologiste américain (le Dr Scott) pour le traitement du strabisme, puis, avec le succès connu, à celui du blépharospasme dès 1980. En 2003, ce produit a obtenu une AMM pour le traitement des rides de la glabelle, qui curieusement excluait les ophtalmologistes. Un recours a permis de lever cette anomalie et, actuellement, tout ophtalmologiste formé aux techniques d'injection peut en commander et traiter à son cabinet les rides liées à une hyperaction des muscles procerus et corrugator.
Hors AMM, il est possible de traiter les rides de la patte-d'oie, du front et en jouant sur l'équilibre entre les muscles élévateurs (le frontal) et les muscles abaisseurs (orbiculaire, procerus, corrugator), et d'obtenir une élévation de la queue du sourcil, technique qui a tendance actuellement à supplanter les techniques de liftings frontaux chirurgical ou endoscopique
Elle est également efficace dans le traitement des rétractions palpébrales supérieures, notamment dans la maladie de Basedow au stade précoce.
Avec le développement des liftings verticaux « malaires », réalisés par une incision de blépharoplastie inférieure, de nombreuses applications voient le jour en chirurgie oculoplastique.
Les techniques de resurfaçage cutané, apanage des dermatologistes, sont abordées par certains ophtalmologistes avec l'utilisation de lasers ou de peeling qui nécessitent une grande expérience clinique pour bien adapter leur dosage. Les lasers semblent actuellement présenter un intérêt grandissant grâce, notamment, aux lasers « fractionnés », avec lesquels les suites sont plus simples qu'avec les lasers abrasifs classiques.
Qui peut faire quoi ?
Les médecins revendiquant une activité esthétique localisée au visage sont nombreux. Outre les ophtalmologistes, citons les chirurgiens plasticiens, les dermatologues, les chirurgiens de la tête et du cou (oto-rhino-laryngologistes et maxillo-faciaux) et les médecins esthétiques.
Dans les pays anglo-saxons et notamment aux Etats-Unis, la chirurgie esthétique des paupières est assurée par des chirurgiens oculoplastiques qui, pour la plupart, possèdent une solide formation mixte ophtalmologique et réparatrice (leurs primes d'assurances sont parmi les plus élevées de la profession).
En France, qui mieux qu'un ophtalmologiste formé en chirurgie oculoplastique pourrait revendiquer le domaine de la chirurgie palpébrale ?
Pour améliorer cette compétence, un processus de formation spécifique a été entrepris avec le DIU de chirurgie oculo-palpébrale ; pérennisé par l'existence d'une Société de chirurgie oculoplastique. Actuellement présidée par Serge Morax, elle se réunit tous les ans lors du congrès de la Société française d'ophtalmologie et le nombre de ces adhérents ne cesse d'augmenter.
Des négociations sont actuellement en cours, incluant le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), pour une reconnaissance du statut d'oculoplasticien et l'établissement d'une police d'assurance professionnelle spécifique
Notre domaine d'action ne doit pas dépasser le visage. Par ailleurs, la cosmétologie médicale (tatouages des sourcils, mode des piercings) n'est pas une pratique souhaitable compte tenu de l'image de marque que nous désirons renvoyer à notre clientèle.
Quel type de prise en charge ?
Les patients relevant de la chirurgie esthétique doivent être traités selon les règles inhérentes à cette activité, notamment :
– respect de la prise en charge spécifique ; seuls les patients présentant une pathologie peuvent bénéficier d'une prise en charge selon la nouvelle classification commune des actes médicaux (CCAM) reconnue par les organismes sociaux dans le cadre d'une chirurgie réparatrice à implication esthétique. Cela signifie que l'acte effectué peut être pris en charge si un retentissement fonctionnel suffisant peut être attesté par le chirurgien. C'est le cas, exceptionnel, d'un blépharochalasis ou d'un ptosis avec amputation du champ visuel, d'un Eyelid Floppy Syndrom avec répercussions conjonctivales… Dans les autres cas, il ne peut y avoir de prise en charge par les caisses d'assurance-maladie ;
– délai de réflexion supérieur à 15 jours ;
– fiche de consentement éclairé spécifique et devis détaillé.
* Ophtalmologiste chirurgie maxillo-faciale, PH temps partiel dans le service du Pr Gastaud, CHU de Nice ; chargé d'enseignement et responsable de la coordination du DIU de chirurgie orbito-lacrymo-palpébrale ; centre ophtalmologique Foch, Nice.
** Interne dans le service d'ophtalmologie du Pr Pierre Gastaud, CHU de Nice.
Les écueils
Trois écueils majeurs menacent les ophtalmologistes désireux de s'investir dans le domaine de la chirurgie oculoplastique :
– l'absence de formation spécifique, source de résultats insuffisants, voire médiocres qui dévaloriseraient ces actes ;
– le manque de communication auprès du public sur notre aptitude et notre légitimité dans ce domaine ;
– la mauvaise différenciation des cas relevant de l'esthétique pure de ceux relevant d'une pathologie pouvant être prise en charge par la collectivité (Sécurité sociale).
C'est en veillant à les éviter que nous pourrons rendre un service de qualité à nos patients.
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