Décision Santé. Pourquoi rien ne se passe depuis la remise du rapport Le Menn sur l’attractivité des carrières à l'hôpital ?
Rachel Bocher. Rappelons une évidence. Nous sommes à l’origine de la commande de ce rapport, il y a juste un an. Nous avions alors estimé que la loi de santé n’allait pas assez loin dans la remédicalisation de la gouvernance. Après avoir exprimé notre mauvaise humeur, les intersyndicales de médecins hospitaliers ont été reçues par la ministre. Au-delà de la gouvernance, un consensus s’était établi autour de l’idée de renforcer l’attractivité des carrières à l’hôpital. Simplement, à ce jour, la loi de santé n’a toujours pas intégré ce volet de l’attractivité, sinon par le petit bout de la lorgnette avec la prolongation de la carrière hospitalière ou la création d’un corps de PH remplaçants afin de suppléer à l’intérim. Depuis, nous sommes toujours en attente de financements interministériels. Aucune avancée concrète n’a été enregistrée. Pourtant, ce rapport de 145 pages articulé autour de 57 propositions et 11 volets a bien pris la mesure de la gravité du problème. Entre 2015 et 2020, 30 % des praticiens hospitaliers partiront en retraite. Elle est aussi liée à la recomposition hospitalière avec la création des GHT, à la recomposition territoriale et à la création de nouvelles régions. Cerise sur le gâteau, la suppression de l'interim médical devrait générer 500 millions d’euros d’économies. Nous sommes bien à la croisée des chemins qui devrait permettre une évolution statutaire nécessaire et souhaitable.
D. S. Les praticiens, selon leur âge, expriment-ils des demandes différentes ?
R. B. La question de la rémunération est prioritaire chez les jeunes générations. En début de carrière, les salaires sont très faibles si on les compare avec d’autres professions de niveau de responsabilité identiques. La concurrence avec le privé se pose avec une vive acuité. Les préoccupations sont différentes pour les plus de 45 ans. Outre la revalorisation, la remédicalisation et la responsabilisation, tant au niveau des soins que de la recherche, sont chez les praticiens plus âgés des enjeux importants.
D.S. Face à ces demandes, la politique de Marisol Touraine ne se résume-t-elle pas à gagner du temps ?
R. B. Une nouvelle loi génère de manière mécanique de nouveaux statuts. Le temps perdu ne se rattrape pas. Mais cette loi ne peut être appliquée sur le terrain dans son volet hospitalier sans l’implication des praticiens.
D. S. Où sont les marges de manœuvre budgétaires ?
R. B. Sans augmentation significative de la masse salariale, des crédits sont disponibles pour financer des avancées grâce par exemple à l’arrêt de l’interim. Les recompositions hospitalières avec les GHT devraient générer des économies substantielles. De plus, il n’est pas question de demander tout, tout de suite. Les revalorisations peuvent être étalées sur deux à trois ans. Enfin le départ programmé de PH à la retraite, le plus souvent au dernier échelon, libère de nouvelles ressources. La situation financière n’est donc pas bloquée. Des marges de manœuvre importantes sont demain mobilisables pour dessiner la nouvelle carte hospitalière et décliner en pratique les trois axes dégagés par le rapport Le Menn : favoriser l’engagement dans les carrières hospitalières, améliorer les conditions d’exercice et de gestion de carrière, promouvoir des politiques sociales et managériales.
D. S. Quelles mesures demandez-vous pour favoriser l’attractivité ?
R. B. Il faut adresser des messages forts aux jeunes générations et ne pas opter pour des demi-mesures de type primes réservées aux praticiens exerçants dans des zones sous tension ou dans des spécialités à risque. Nous proposons la suppression des quatre premiers échelons qui signifie une revalorisation significative pour les jeunes médecins. Dans le même ordre d’idées, pour inciter à s’engager dans la carrière hospitalière, la prime de service public n’a pas été augmentée depuis 2001, quinze ans déjà. Révisons également la prise en charge des astreintes. Il en existe aujourd’hui deux types, les astreintes opérationnelles et celles dites de sécurité. Afin de répondre aux diverses mesures de repos compensateur, un seul mode d’astreinte rationaliserait le système. Enfin, l’instauration d’une cinquième demi-journée permettrait de compenser l’activité des médecins dont les horaires de travail débordent en soirée. En matière de conditions de travail, nous plaidons pour la mise en place d’une organisation qui introduit l’instauration de valence universitaire, d’enseignement de recherche, ou de responsabilité de gouvernance à hauteur de 20 %. Enfin, le développement personnel continu participe à l’attractivité des carrières.
Autant de mesures qui doivent donner envie de faire carrière à l’hôpital pour reprendre les propos de Jacky le Menn. Celles qui sont prévues à ce jour dans la loi, la prolongation de l’activité à 72 ans pour les volontaires, et la création d’un pool de PH remplaçants relèvent davantage de la cosmétique. Et ne sont pas suffisantes pour inciter les internes à exercer à l’hôpital.
D. S. Donnez-vous une date ultime à Marisol Touraine pour faire adopter vos revendications ?
R. B. Nous sommes dans un bon calendrier. Les propositions devraient être actées avant la fin novembre avant d’établir un calendrier pour 2016-2017. Certaines mesures seront inscrites dans la loi de santé. Les attentes sont, en tout état de cause, très fortes. J’ai relayé à plusieurs reprises l’impatience de nos mandants. La balle est dans le camp du ministère de la Santé. Les GHT ne sauraient être mis en place dans l’implication des médecins. Nous avons cette fois l’impression qu’une solution est à portée de main.
D. S. Un gouvernement de gauche peut-il accorder des revalorisations de carrière aux jeunes médecins et ne pas les accorder aux autres soignants ?
R. B. Cela n’a rien à voir. À l’inverse des médecins, les infirmiers sont mieux rémunérés dans le public que dans le privé. Un message à l’heure des recompositions hospitalières et du virage ambulatoire doit être lancé à l’intention des praticiens. Ce débat avait déjà été agité au moment des primes versées pour les RTT non utilisées. Rappelons enfin que les médecins ne relèvent pas de la fonction publique hospitalière. En tout état de cause, le refus de nos propositions mettrait en péril le succès de la loi. « On a pensé à tout, le problème est d’y repenser à nouveau », a rappelé Goethe. Nous en sommes là. L’échéance est devant nous. La France a un système double, libéral et hospitalier. Pour le maintenir, il faut le repenser. Maintenant.
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