PAR LE Pr JEAN-FRANÇOIS PAYEN*
LE SEVRAGE de la sédation correspond au moment où l'état du patient autorise la décroissance, puis l'arrêt de l'administration continue d'agents hypnotiques et morphiniques pour lui permettre de retrouver une autonomie respiratoire (sevrage ventilatoire), éventuellement conclue par l'extubation trachéale. Puisque les agents hypnotiques et morphiniques les plus utilisés en réanimation en France (midazolam, propofol, fentanyl, sufentanil) (1) altèrent la mécanique et le contrôle ventilatoire, le sevrage de la sédation doit associer étroitement le retour à une autonomie respiratoire et le retour à un état de vigilance optimal. Un état de vigilance permettant l'autonomie respiratoire peut être altéré par la sédation pharmacologique résiduelle et/ou par des lésions cérébrales sous-jacentes.
Les situations.
La prolongation inexpliquée de troubles de vigilance à l'arrêt de la sédation est de loin la situation la plus fréquente. Les causes de ce retard de réveil peuvent être pharmacologiques (accumulation excessive des agents hypnotiques et/ou morphiniques en raison d'une défaillance viscérale, large variabilité de la pharmacologie de ces agents en réanimation) ou correspondre à des lésions neurologiques passées inaperçues. Les facteurs favorisant un retard de réveil sont multiples : âge, lésions cérébrales sous-jacentes, gravité initiale du patient, défaillances viscérales, durée de sédation, hypoalbuminémie, emploi de curares (2). Le choix des agents hypnotiques et morphiniques n'est pas un élément ayant un impact direct sur la durée du sevrage ventilatoire, à condition que le patient soit maintenu à un niveau optimal de vigilance, mesuré par des échelles cliniques (Ramsay, SAS, RASS, ATICE). C'est plutôt l'absence de mesure du niveau de vigilance au cours de l'administration des agents hypnotiques qui est le facteur le plus déterminant pour expliquer une prolongation du sevrage ventilatoire (3).
Inversement, le patient peut avoir un état d'agitation et/ou un syndrome de sevrage à l'arrêt de la sédation-analgésie. Cet état peut être à l'origine d'autoextubations trachéales, d'une augmentation des posologies d'hypnotiques et de morphiniques et, par conséquent, d'un allongement de la durée de VM et de séjour en réanimation (4). Les causes d'une agitation sont variées : douleur chez un patient non communicant, troubles métaboliques, sepsis, hypoxémie, défaillance cardio-vasculaire, lésion intracrânienne et, par élimination, syndrome de sevrage (5). Le syndrome de sevrage est caractérisé par un cortège de symptômes (agitation aiguë, douleurs diffuses, nausées, crampes musculaires, myoclonies, insomnie, anxiété) et des signes cliniques (tachycardie, hypertension artérielle, vomissements, polypnée ou désadaptation du ventilateur, sueurs, fièvre, mydriase bilatérale réactive) (6).
L'administration de fortes doses de benzodiazépines (> 4 mg/h de midazolam) et/ou de morphiniques (> 200 mg/h de fentanyl) pendant une durée supérieure à 7 jours est un des facteurs clairement identifiés favorisant la survenue d'un syndrome de sevrage (7).
Les modalités.
Puisqu'elle vise à tester l'autonomie respiratoire, la décision d'arrêter la sédation doit s'appuyer sur un préalable combinant une analyse de la vigilance et de la fonction respiratoire. Les modalités de l'arrêt de la sédation sont variées, pas toujours bien validées : arrêt progressif des sédatifs et des analgésiques (8), relais médicamenteux par un agent à demi-vie plus courte (9), usage de protocoles écrits ou pilotés par ordinateur (10), emploi des alpha 2-agonistes adrénergiques, en particulier la dexmédétomidine (11), utilisation des analgésiques non morphiniques (néfopam, paracétamol, kétamine). Chez le patient cérébro-lésé, l'arrêt de la sédation est une phase particulière puisqu'il s'agit d'évaluer l'état neurologique sous-jacent, soit pour une durée transitoire (fenêtre d'arrêt), soit de manière définitive. Il s'agit de distinguer les troubles de l'éveil et les troubles de la perception consciente.
Les outils de mesure clinique seront le score de Glasgow pour la perception consciente et une échelle de sédation pour la vigilance. Si l'état neurologique doit être évalué régulièrement, le rémifentanil est un produit intéressant (12).
En revanche, en présence d'une hypertension intracrânienne, le recours à une sédation-analgésie profonde (midazolam et fentanyl ou sufentanil) pendant plusieurs jours est nécessaire. L'arrêt définitif de la neurosédation doit s'envisager dès que le patient remplit certaines conditions spécifiques : absence d'hypertension intracrânienne depuis plus de 48 heures, absence d'hypoperfusion cérébrale estimée par le Doppler transcrânien, absence d'aggravation des lésions cérébrales (TDM cérébrale), absence de défaillance sévère respiratoire et hémodynamique, arrêt d'une éventuelle administration de curares depuis plus de 24 heures, absence de convulsions. Une augmentation de la pression intracrânienne ne doit pas conduire à réintroduire systématiquement la neurosédation.
En cas d'échec.
En cas de retard de réveil, la réalisation d'une imagerie cérébrale doit éliminer une lésion passée inaperçue (13). En cas d'agitation et/ou de syndrome de sevrage, plusieurs solutions thérapeutiques existent, mais non validées par des essais cliniques.
L'emploi des neuroleptiques (halopéridol, 2-5 mg en bolus intraveineux) est indiqué en cas d'agitation (7).
En présence d'un syndrome de sevrage aux opiacés, la réintroduction du morphinique en cause est parfois la seule solution efficace (14). L'emploi de méthadone a été proposé en réanimation pédiatrique (15). La buprénorphine est une alternative dotée d'un effet antihyperalgésique limitant les réactions neurovégétatives au sevrage de l'agoniste morphinique (16). Enfin, la trachéotomie est une modalité admise pour accélérer le sevrage ventilatoire chez les patients ayant des séquelles importantes neurologiques ou respiratoires, mais aussi en échec de sevrage de sédation (17).
* Pôle d'anesthésie-réanimation, hôpital Michallon, Grenoble.
(1) Payen JF et coll. Anesthesiology 2007;106:687-95.
(2) Arroliga A et coll Chest 2005;128:496-506.
(3) Kress JP, Hall JB. Crit Care Med 2006;34:2541-6.
(4) Mion LC et coll. Crit Care Med 2007;35:2714-20.
(5) Foucrier A et coll. 48e congrès national d'anesthésie et de réanimation, LCdl SFAR, Editor. 2006, Elsevier : Paris. p. 243-50.
(6) Cammarano WB et coll. Crit Care Med 1998;26:676-84.
(7) Jacobi J et coll. Crit Care Med 2002;30:119-41.
(8) Tobias JD. Crit Care Med 2000;28:2122-32.
(9) Saito M et coll. Anesth Analg 2003;96:834-8.
(10) Lellouche F et coll. Am J Respir Crit Care Med 2006 ;174:894-900.
(11) Arpino PA et coll. J Clin Pharm Ther 2008 ;33:25-30.
(12) Karabinis A et coll. Crit Care 2004 ;8:R268-80.
(13) McKenzie CA et coll. Crit Care 2005;9:R32-6.
(14) Delvaux B et coll. Anesthesiology 2005 ;102 :1281-2.
(15) Riker RR, Fraser GL. Pharmacotherapy 2005;25:8S-18S.
(16) Koppert W et coll. Pain 2005 ;118 :15-22.
(17) Nieszkowska A et coll. Crit Care Med 2005;33:2527-33.
Procédure de sevrage de la sédation en l'absence de lésions cérébrales sous-jacentes
Pendant la phase de sédation-analgésie :
– mesure régulière de la vigilance (Ramsay, SAS, RASS, ATICE) ;
– mesure régulière de la douleur (EVA, EN, BPS) ;
– protocoles écrits pour ajuster la sédation-analgésie ;
– si possible, épreuve quotidienne de mise en ventilation spontanée.
Au moment de l'arrêt de la sédation :
Prérequis :
– vigilance normale ou peu altérée (Ramsay 3 ou 4 ; RASS -1 à +1) ;
– pas ou peu de douleur (EVA < 40 mm ; BPS < 5) ;
– FiO2 < 50 %, PEP < 5 cmH2O ;
– absence (ou faible dose) d'agents vasoactifs.
Modalités possibles :
– arrêt progressif de la sédation-analgésie ;
– relais médicamenteux ;
– alpha 2-agonistes ;
– analgésiques non morphiniques.
n Si échec :
– retard de réveil —> TDM cérébrale ;
– agitation-sevrage —> éliminer cause organique ; bolus neuroleptiques ; réintroduction des morphiniques ; agonistes morphiniques partiels ; trachéotomie.
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