Le document est sur le bureau du ministre. Il trace les grandes lignes de ce que sera le rapport très attendu commandé pour la fin du mois par Jean-François Mattei, sur l'épineux sujet de la redéfinition de la solidarité nationale, à Jean-François Chadelat, actuel président du Fonds de financement de la CMU - et ancien responsable du département santé d'AXA. Le groupe de travail se réunira une dernière fois le 19 mars.
Comme des indiscrétions le laissaient entendre (« le Quotidien » du 28 janvier), c'est bien un nouveau partage des responsabilités entre le régime obligatoire de base et les assurances complémentaires que le futur rapport Chadelat préconise (voir schéma). L'architecture qui existe aujourd'hui - la Sécurité sociale prend en charge à des taux variables un panier de soins bien défini ; les organismes complémentaires (les mutuelles, les instituts de prévoyance, les assurances privées), comme leur nom l'indique, « complètent » ces prestations de base selon des règles définies par eux-mêmes) - est sérieusement remodelée. La proposition est de fondre les actuelles prestations de la Sécu et celles des complémentaires au sein d'une « assurance-maladie généralisée (AMG) ». Dans ce cadre, l'adhésion à une assurance complémentaire dite « de base » (AMCB) resterait, comme aujourd'hui, facultative, mais « un dispositif d'aide à l'achat » d'un contrat, « dégressif » avec le revenu des assurés, serait mis en place. 13,6 millions de personnes seraient susceptibles de bénéficier de ces aides (qui ne se confondent pas avec les 4,5 millions d'assurés aujourd'hui inscrits à la CMU - couverture maladie universelle qui serait maintenue dans l'AMG).
Au total, l'assurance-maladie généralisée (au sein de laquelle la part de la Sécu « restera prépondérante », prend bien soin de préciser le projet) prendrait en charge un panier de soins ressemblant grosso modo à celui que représentent aujourd'hui les prestations couplées de la Sécu et celles « offertes par les contrats les plus standards » des complémentaires. Il correspondrait, résume Jean-François Chadelat, « à l'accès aux soins que la nation garantit à chacun de ses citoyens ».
Pour le reste des dépenses, que le projet se borne à couvrir d'un pudique « moins prioritaires en termes de santé publique » et qui pourraient être liées, on l'imagine, aux médicaments à SMR insuffisant ou aux visites non médicalement justifiées, « les ménages sont libres de s'assurer (...) mais sans aide de la collectivité ». Hors panier de soins « de base », les mutuelles et les assurances privées pourront donc continuer à fonctionner comme aujourd'hui.
Redistributif, le projet Chadelat aura, s'il est mis en uvre, des conséquences pour tout le monde :
Les assurés
Les changements varieront avec leur niveau de revenu. Pour les actuels bénéficiaires de la CMU, rien de nouveau. Ceux qui adhèrent aujourd'hui à une « bonne » mutuelle (assurant des prestations supérieures à la moyenne) seront sans doute perdants : le panier de soins qui leur sera remboursé par l'AMG sera moins large que ce que leur assurent ensemble aujourd'hui la Sécu et leur mutuelle (Jean-François Chadelat suggère, par exemple, que l'AMG ne garantisse certains remboursements que pour « certaines affections », sur le modèle de ce que prévoient les premiers AcBUS - accords de bon usage des soins) ; ils devront cotiser plus pour retrouver, via l'assurance « libre », leur niveau de prestations. Quant aux 13,6 millions de personnes susceptibles de toucher des aides à la mutualisation (des « réductions d'assiette fiscale et de cotisations sociales » sont suggérées), leur couverture sera améliorée.
L'Etat
L'objectif initial était de réduire ses frais d'assurance-maladie. Jean-François Chadelat, qui précise en introduction de son projet qu' « il est parfaitement illusoire de penser que des changements dans la répartition des interventions (des organismes de base et complémentaires) permettront de résoudre les difficultés financières de la Sécurité sociale », l'a peut-être oublié en chemin. Son but est plutôt de parvenir à une « optimisation des dépenses » grâce une responsabilisation cohérente de tous, de « rationaliser » le système. Au sein de l'UMP, les plus libéraux, furieux, le lui reprocheraient déjà. Et, à l'Elysée, où, dans le plus grand secret se négocient directement, dit-on, les termes d'un accord avec la Mutualité, on n'attend pas le rapport Chadelat pour s'emparer du dossier.
Car s'il s'agit de permettre à l'Etat de dépenser moins, tout l'enjeu, dans le système Chadelat, se concentre autour du partage des compétences au sein de l'AMG. Or le projet reste très flou sur les modalités de ce partage, même s'il semble s'orienter vers une répartition des tâches plus compartimentée qu'aujourd'hui. « Raisonner globalement par secteurs entiers n'a pas de sens, affirme-t-il ; en revanche, dans le cadre d'un peignage fin, prestation par prestation (...) on peut concevoir que la régulation de certaines prestations serait pilotée par les AMO (assurance-maladie obligatoire) ou par les AMC (assurances-maladie complémentaires). » L'histoire ne dit jamais, en revanche, « aux mutuelles, tout le dentaire », ou « à la Sécu, toutes les visites justifiées ». Le mot « transfert » n'est pas prononcé, et, donc, encore moins celui de « volume des transferts ».
Les organismes complémentaires
Ils réclament pour la plupart - c'est en tout cas le combat du plus gros d'entre eux, la Mutualité - un crédit d'impôt permettant aux Français les plus modestes de souscrire un contrat auprès d'eux. Avec le rapport Chadelat, ils l'obtiennent, tout comme, devenant cogestionnaires et corégulateurs du système de l'AMG, ils obtiennent un important pouvoir au sein de l'assurance-maladie. Même si le projet précise bien que la définition du contenu de l'AMG « est une compétence régalienne », ils ne sont plus des « copayeurs automatiques et aveugles ». Les complémentaires se retrouvent à cheval sur deux terrains : celui de l'AMG non concurrentiel, où leur intérêt sera fonction de la distribution des rôles ; celui du « confort » totalement libre.
Les médecins
Ils gagnent un interlocuteur avec les complémentaires qui, dans le cadre de l'AMG, s'assiéront, par exemple, logiquement à la table des négociations conventionnelles. Le projet parle d' « un dialogue privilégié avec les prescripteurs ».
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