Voilà une nouvelle fois le tocsin qui sonne : la Sécurité sociale est en danger et le régime d'assurance-maladie de plus en plus en plus malade. La Commission des comptes, qui a présenté hier son rapport semestriel, n'a pas caché la gravité de la situation. Avec un déficit pour 2002 qui atteint les 6,12 milliards d'euros et un trou, à la fin de 2003, estimé par cette instance à 9,7 milliards d'euros, la branche maladie du régime général est proche de la banqueroute. Certes, note le journal « les Echos » dans son édition du 14 mai, les comptes du régime général d'assurance-maladie ne sont jamais vraiment sortis du rouge depuis une vingtaine d'années. Il n'empêche que le déficit cumulé 2002-2003, à près de 16 milliards d'euros, met le gouvernement dans une fâcheuse posture. Lui qui, lors de son arrivée au pouvoir il y a un an, affirmait que l'un de ses soucis essentiels était de maintenir les déficits dans des proportions raisonnables. On en est loin aujourd'hui. Même si la conjoncture économique, la panne de croissance, sont à l'origine d'un manque de recettes qui aggrave la situation des comptes sociaux.
Le ministre de la Santé qui, contrairement à son prédécesseur, a sous sa responsabilité la gestion de l'assurance-maladie, se trouve en première ligne dans ce dossier et il devra rapidement prendre des décisions, pour tenter de stopper l'hémorragie. D'autant que son collègue des Finances observe de près l'étendue des dégâts, et veut intervenir.
Jean-Français Mattei en est conscient et sait qu'on l'attend au tournant. Il n'est pas certain, cependant, que sa meilleure défense, pour expliquer la dérive des comptes, soit celle qui consiste, comme il l'a fait au début de cette semaine, à l'Assemblée, à mettre en cause en premier lieu l'héritage des socialistes un an après leur départ du gouvernement. « A mon arrivée, j'ai trouvé, a dit le ministre, un système de santé dans une crise plus profonde encore que je ne l'avais imaginé ; (...) l'assurance-maladie n'était plus financée. »
Un certain flou dans les discours
D'où, selon le ministre, les problèmes majeurs dans lesquels se débat aujourd'hui le système de protection sociale.
Mais après le constat, reste à trouver le remède. Et là, les discours des responsables gouvernementaux se font plus flous. Certes, il est toujours question de la grande réforme de la Sécurité sociale annoncée pour l'automne. Mais on n'en connaît guère les grandes lignes, ni l'importance des transferts du régime obligatoire de base vers les régimes complémentaires. En tout état de cause, pour Claude Evin, l'ancien ministre de la Santé du gouvernement Rocard, « ce n'est pas en transférant les dépenses vers les complémentaires, mais en parvenant à une meilleure allocation des ressources que l'on pourra sortir le système de santé de la grave crise qu'il traverse aujourd'hui ».
Plus facile à dire qu'à faire : tous les gouvernements se sont cassés les dents sur la question d'une meilleure allocation des ressources. Les discours qui vilipendent les gaspillages ne manquent pas dans l'histoire de la Sécurité sociale. On en attend toujours les effets probants.
Un PLSS 2004 « exigeant et difficile »
Le gouvernement a renoncé à une loi de financement rectificative sur la Sécurité sociale, alors qu'il l'avait promise, lors du débat parlementaire l'automne dernier, en cas de dérapage des dépenses. Il faut maintenant qu'il intervienne au plus tôt pour éviter que la situation n'empire. Certes, Jean-François Mattei, sans promettre du sang et des larmes, s'est engagé à ce que la loi de financement de la Sécurité sociale 2004, qui sera discutée par les parlementaires en septembre et octobre prochains, soit « exigeante et difficile ». Ce qui signifie, entre autres, que les objectifs de dépenses proposés aux professionnels de santé, notamment aux médecins libéraux, seront revus à la baisse. Seront-ils pour autant opposables, c'est-à-dite assortis de sanctions si d'aventure ils sont une nouvelle fois dépassés ?
« Ce n'est pas dans l'esprit du gouvernement actuel qui s'est engagé auprès des médecins à ne pas refaire le coup du plan Juppé », explique un expert économique. La droite n'a pas la mémoire courte.
Il demeure que la raison économique pourrait avoir des exigences que la raison politique ne connaît pas. « Il ne faut pas s'engager dans cette voie, sinon, c'est la guerre », prévient un responsable de la CSMF, qui ne veut pas s'exprimer au nom de son syndicat. Son analyse n'est pas fausse, mais, en l'absence de tout système de régulation, on est bien obligé d'en faire le constat, les dépenses de santé continuent à flamber. Et on est aujourd'hui sur un rythme annuel de progression de 7,5 % (la Commission des comptes estime cependant que la hausse devrait être plus modérée à la fin de l'année ; elle table sur une évolution de 5,9 % des dépenses en 2003) alors que l'Objectif national des dépenses d'assurance-maladie fixé par le Parlement pour 2003 est de 5,3 %. Un ONDAM généreux, avait d'ailleurs commenté, à l'époque, le ministre de la Santé qui, aussitôt, avait ajouté qu'il ne comprendrait pas qu'il ne soit pas respecté. On est pourtant aujourd'hui dans ce cas de figure. La situation va-t-elle donc contraindre le gouvernement à aller dans la direction d'un système de maîtrise ? Les experts économiques restent en tout cas catégoriques : si rien n'est fait, les déficits ne feront que s'accroître.
Les conséquences des revalorisations
Jean de Kervasdoué, l'ancien directeur des Hôpitaux et l'un des économistes les plus consultés et écoutés en la matière, le dit d'ailleurs clairement à « Libération » : « Le déficit est structurel et risque de le demeurer, faute d'outils de régulation. » Et de mettre en cause les augmentations du C à 20 euros et de certains tarifs de spécialistes, non pas tant parce qu'ils étaient injustifiés, mais surtout parce qu'ils ont été accordés sans véritables contre-parties, sans que l'occasion, dit-il, ait été été saisie par les politiques « pour bâtir avec les médecins une régulation moderne de la médecine de ville ».
Le fait est que la profession n'était pas décidée du tout à céder sur ce point alors qu'elle se battait depuis des mois, notamment les généralistes, pour obtenir des revalorisations tarifaires.
De même, les conflits récurrents entre l'assurance-maladie et les spécialistes ne facilitent pas d'éventuelles négociations pour un accord sur un système de régulation des dépenses de santé.
Pour autant, les médecins ne peuvent pas ignorer les mauvais chiffres de l'assurance-maladie. Peuvent-ils continuer à agir comme si de rien n'était ? Peuvent-ils éviter de consulter les chiffres, de les étudier ? Bien au contraire, expliqueront les responsables syndicaux, qui ne manqueront pas de rappeler qu'ils ont joué le jeu de l'accord du 5 juin 2002, lequel s'est certes traduit par une revalorisation du C et du V, dans certaines conditions, mais a entraîné en même temps un baisse substantielle du nombre de visites et une forte montée des prescriptions de génériques, avec les économies pour l'assurance-maladie que tout cela représente. Conséquence à leur yeux : quand on signe avec les médecins, ils respectent leur engagement et un système de régulation particulier aux praticiens ne s'impose pas.
Ce sentiment n'est pas unanimement partagé par les membres du gouvernement. « Le redressement de l'assurance-maladie, a dit le ministre de la Santé devant les députés, ne dépend pas que des pouvoirs publics et de l'Etat. La sauvegarde de ce bien commun dépend de tous. » Sous entendu des patients, mais des médecins aussi, qui doivent arrêter, dans l'esprit d'un certain nombre de politiques, de jouer « personnel » en la matière. Particulièrement visés, en ce moment, les spécialistes qui, en multipliant les DE et les menaces de déconventionnement, ne rendent service à personne et surtout pas au gouvernement.
Dans ce contexte, le règlement conventionnel minimal qui devra s'appliquer aux spécialistes sera lu attentivement par le Premier ministre à qui reviendra la décision finale. Pour bien montrer que, décidément, les problèmes de santé et de Sécurité sociale sont bel et bien aujourd'hui une affaire d'Etat. A l'image des retraites. Ce n'est pas forcément une comparaison qui fera plaisir à tout le monde.
Les neuf priorités de Jean-François Mattei
Tirant le bilan d'une année de gouvernement, en matière de santé et de protection sociale, Jean-François Mattei a réaffirmé sa volonté de conduire une politique innovante et dynamique.
En particulier, explique-t-il, les chantiers définis par le président de la République sont lancés, concernant notamment la lutte contre le cancer, l'action en faveur des handicapés ou la lutte contre la violence routière.
Le ministre de la Santé a énuméré les neuf priorités qu'il s'est imposées : priorité à la santé publique, la prévention et la sécurité sanitaire ; garantir la qualité des soins et un égal accès aux soins ; hôpital 2007 : un souffle nouveau pour l'hospitalisation publique et privée ; construire avec les professionnels de santé ; rénover notre système de Sécurité sociale et d'assurance-maladie ; reformer l'administration sanitaire et sociale ; construire l'Europe de la santé ; rénover la solidarité pour la famille ; enfin, améliorer la prise en charge du handicap.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature