Depuis le congrès de la Mutualité française, à la mi-juin à Toulouse, on savait que le « grand soir » de la Sécu n'aurait pas lieu.
Rassurant les uns, douchant l'enthousiasme des autres, Jacques Chirac puis Jean-François Mattei avaient expliqué que cette deuxième grande réforme sociale de la législature, longtemps présentée comme le dossier brûlant de la rentrée 2003, exige un peu (plus) de temps et de diplomatie. Le temps de la négociation avec l'ensemble des partenaires mais surtout celui de préparer une opinion publique qui, explique-t-on, ne serait pas capable de digérer, après les retraites, une autre réforme de cette ampleur. Réforme dont Alain Juppé, président de l'UMP, prévient en connaisseur qu'elle sera d'autant plus « difficile » que les syndicats de salariés les plus contestataires (FO et la CGT) sont animés par un désir de revanche.
Deux PLFSS pour une réforme
Dans son récent discours de politique générale, le Premier ministre a tracé les contours de cette approche réfléchie du calendrier. « Entre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2004 et celui de 2005, nous mènerons toutes les négociations avec l'ensemble des partenaires de la santé pour que notre pacte social sorte renforcé de cette modernisation collective », a-t-il annoncé.
« Modernisation » : le mot est choisi (Jacques Chirac avait utilisé le même à Toulouse), moins brutal que « remise à plat ». « Notre intention est de garantir le meilleur de la santé pour tous en maintenant l'originalité de notre système qui concilie la liberté et la solidarité », a seulement ajouté Jean-Pierre Raffarin, resté muet sur les mesures à l'étude (bien que le PLFSS 2004 soit déjà en préparation, comme en témoigne l'activisme de certains parlementaires UMP). Volonté de ne pas en rajouter après son succès sur les retraites ? Souci de ne pas troubler l'intervention présidentielle du 14 juillet ? Désir de ne pas brusquer des médecins libéraux dont la confiance est entamée ? Aucun effet d'annonce en tout cas.
Le gouffre et la CSG
S'il exclut la thérapie de choc, le Premier ministre n'ignore rien des « déficits importants » de la branche maladie (16 milliards d'euros pour 2002 et 2003). Il faudrait plutôt parler d'un gouffre qui se creuse mois après mois, et qui exige à l'évidence des décisions rapides. « Pour combler ce puits sans fond, il faut trouver très très vite des recettes », confirme un député UMP, bon connaisseur de ces dossiers. Du coup, les spéculations à propos de mesures financières dès cette année pour éponger partiellement les déficits reviennent à grands pas. Le relèvement de la CSG et la prolongation de la CRDS semblent inéluctables, malgré les démentis répétés. Selon le « Canard enchaîné » daté du 2 juillet, Jean-François Mattei, dévoilant son plan Sécu à quelques parlementaires, aurait jugé « inévitable » l'augmentation de la CSG. Dans le « Figaro Magazine » du 5 juillet, Jean-Marie Spaeth juge, lui aussi, cette hausse « incontournable ». On les comprend, tant le remède est efficace : un point de CSG supplémentaire rapporte jusqu'à 9 milliards d'euros chaque année à la Sécu. Une nouvelle hausse des prix du tabac apporterait également un peu d'oxygène.
Rencontres bilatérales
L'étalement de la réforme n'empêche pas le début des manuvres dans la coulisse. Les contacts entre certains représentants des médecins libéraux et des assurés s'intensifient. Les uns et les autres s'efforcent de renouer les fils du dialogue conventionnel au-delà de la rupture officielle entre l'assurance-maladie et les spécialistes. « C'est toute la politique conventionnelle qui est en jeu », résume le chef de file d'une confédération de salariés. Pour poser des jalons, le
Dr Michel Chassang, président de la CSMF, multiplie les entretiens bilatéraux. Avec la CFTC, il constate de « nombreux points de convergence (...) plus particulièrement en matière de politique conventionnelle ». Avec la CFE-CGC, il souhaite « voir rouvrir » des négociations « sur de nouvelles bases ». Autrement dit « pas avec l'équipe qui dirige la CNAM », précise-t-on à la CSMF. Le Dr Dino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), estime que « les plaies des négociations ne sont pas encore refermées ». Mais, précise-t-il aussi, deux événements pourraient modifier la donne : de « nouvelles règles » fixées par le gouvernement ou un « changement d'hommes » à la tête de la CNAM. Après la rupture avec les caisses, plusieurs syndicats médicaux avaient accusé Jean-Marie Spaeth et Daniel Lenoir, respectivement président et directeur de la caisse, d'avoir raidi leurs positions et conduit les négociations à l'échec. « La question se pose désormais : la CFDT doit choisir son chef de file », tranche le président du SML.
Parallèlement, les cinq confédérations de salariés se seraient réunies discrètement, à trois reprises déjà, pour constater leurs points de convergence et de désaccord sur les enjeux de la réforme en préparation (financement, maîtrise des dépenses, place des complémentaires...). Une nouvelle séance est programmée début septembre. Si trêve estivale il y a, elle sera très courte.
« La bande » des cinq
Dans une tribune intitulée « Pour une vraie politique de santé », publiée par « Le Monde » daté du 5 juillet, le Dr Richard Bouton, ancien président de MG-France, Laurent Fabius, député socialiste de Seine-Maritime, le Pr Brice Gayet, chef du département médico-chirurgical de pathologie digestive de l'institut Montsouris (Paris), Jean de Kervasdoué, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé au CNAM, et le Dr Simon Renucci, pédiatre et maire d'Ajaccio (Corse sociale démocrate), dénoncent en termes vifs la politique de santé et d'assurance-maladie conduite par le gouvernement et caractérisée, selon eux, par la « myopie » et l' « esquive ».
« Chacun risque d'en subir les conséquences, écrivent-ils. Les Français, par la CSG, les malade, par la croissance de leur cotisation aux mutuelles et aux assurances complémentaires ainsi que par des déremboursements, les générations à venir, par l'allongement de la cotisation Cades. » Au bout du processus, affirment-ils, « on risque une implosion de la Sécurité sociale ».
La bande des cinq suggère, entre autres mesures, « un nouveau pacte » avec le monde de la santé qui aborderait « le rôle des généralistes et des spécialistes, celui des médecins et des autres professions de santé, la place de l'hôpital et du médecin de ville, la responsabilité médicale, l'accueil des urgences, le contrôle de la qualité des soins, le montant et le mode des rémunérations, la mise en uvre des réseaux, la formation initiale et continue, le rôle décisif de la prévention ». Presque un programme de ministre de la Santé.
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