Quand de hauts fonctionnaires de l'administration de la Santé et de la Sécurité sociale, qui ne sont plus en poste aujourd'hui, mettent leur devoir de réserve au vestiaire, tout le monde en prend pour son grade. A commencer par la classe politique accusée d'inanité dans ce domaine.
Qu'il s'agisse de financement de l'assurance-maladie ou de maîtrise des dépenses de santé, Gilles Johanet, ancien directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie, Jean Marmot, qui fut directeur de la Sécurité sociale et secrétaire de la commission des comptes de la Sécurité sociale ou Jean-François Chadelat, ancien directeur de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, déplorent l'absence de volonté politique pour engager les réformes nécessaires dans ce domaine.
Invités à s'exprimer au Sénat dans le cadre des Auditions de la santé (1) sur le thème « vrais sujets et fausses idées », ils ont porté le fer dans les multiples plaies qui fragilisent aujourd'hui la Sécurité sociale, et plus particulièrement l'assurance-maladie. Et tout d'abord, son financement.
Jean-François Chadelat ne s'est pas privé, par exemple, de doucher l'optimisme de nos gouvernants devant les excédents actuels dégagés par la Sécurité sociale qui demeurent infimes - « l'épaisseur du trait » - comparés aux masses financières en jeu et ne résisteront pas au ralentissement de la croissance. « 2001 a été la dernière bonne cuvée. Avec un décalage classique de neuf mois sur la croissance, le ralentissement de la masse salariale va se faire sentir. On va donc avoir des problèmes pour financer l'assurance-maladie, mais aussi le FOREC et l'APA, au fur et à mesure de sa montée en charge. Par ailleurs, dans le domaine des retraites, on atteint cette année le point de retournement. Il faut donc s'attendre à nouveau à des déficits importants », a-t-il expliqué.
D'autant, a-t-il fait remarquer que la réforme du financement consistant à modifier l'assiette des cotisations s'est arrêtée à mi-chemin, puisque, considérations politiques obligent, la modification de l'assiette des cotisations patronales n'a pas été réalisée. Enfin, la décision de ponctionner les excédents de la Sécu pour financer la politique de l'emploi, en l'occurrence la réduction du temps de travail, a été, selon Jean-François Chadelat, un choix « vide de sens qui a contribué à fragiliser son financement et sa visibilité pour l'avenir ».« L'Etat n'a jamais abondé les comptes de la Sécu en période de déficit, je ne vois pas pourquoi elle serait ponctionné en période d'excédents », a approuvé Gilles Johanet.
Absence de détermination
Quant aux lois de financement de la Sécurité sociale, si les trois experts sont convenus qu'elles constituaient « un immense progrès » en associant le Parlement aux décisions budgétaires, la fixation d'un objectif national de dépenses d'assurance-maladie a échoué, en revanche, à encadrer les dépenses, faute, selon l'ancien directeur de la CNAM, de « règles de fixation et de suivi crédibles ».
Selon eux, l'ensemble des dispositifs de maîtrise des dépenses mis en place depuis la loi Teulade a échoué. Même s'ils allaient parfois dans le bon sens, ces dispositifs n'ont pas été appliqués par manque de volonté politique et administrative. « Ce qui a fait défaut, c'est une vraie détermination », a regretté Jean Marmot, qui estime à ce titre qu'il manquait en France un appareil administratif performant pour la santé. « Aucun ministre, quelle que soit sa tendance, ne peut être efficace sans une administration compétente », a-t-il affirmé. L'ancien secrétaire de la commission des comptes n'a pas mâché ses mots pour dénoncer également la dérive consumériste d'une « société de plus en plus hypocondriaque », une fonction publique hospitalière qui étouffe la gestion des hôpitaux publics ou encore un système administratif moribond de fixation des prix des médicaments.
L'Etat ne peut pour autant renoncer à maîtriser les dépenses, a expliqué Gilles Johanet ; le seul choix réside donc, d'après lui, dans la définition d'un panier de soins (c'est-à-dire d'une liste de soins remboursés) qui ne soit plus implicite et construit par accumulation, mais explicite et objet d'arbitrages politiques. Jean-François Chadelat a également regretté que les responsables politiques n'aient pas jugé nécessaire de débattre du panier de soins ou de clarifier les responsabilités entre l'Etat et l'assurance-maladie. « Si la maîtrise est si difficile, a conclu Gilles Johanet, c'est parce que l'on n'a pas la maîtrise intellectuelle du système, parce que l'assurance-maladie n'a jamais été considérée comme un sujet majeur. » En période électorale et alors que l'assurance-maladie ne constitue pas un enjeu de la campagne, ces experts ont estimé que certaines vérités sont bonnes à dire.
(1) Colloque organisé par MSD, le Collège des économistes de la santé, Espace social européen et « le Quotidien du Médecin ».
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