JAMAIS LES PERSPECTIVES de l'assurance-maladie n'ont été aussi sombres, la situation comptable aussi détériorée. Près de 15 milliards d'euros de déficit attendu en 2004 (le gouvernement espérait le contenir à 10,9 milliards), 30 milliards d'euros de déficit cumulé... les chiffres donneraient le vertige au ministre de la Santé le plus aguerri et le plus déterminé. « Gouffre », « naufrage », manque à gagner « abyssal » ( dixit Jean-François Mattei), les mots manquent pour qualifier une situation qui n'a cessé de se dégrader depuis 2002 à un rythme de plus en plus soutenu.
Chaque mois qui passe, la branche maladie accuse un déficit supplémentaire d'environ un milliard d'euros. Dans ses projections, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie estime que, avec l'hypothèse d'une croissance des dépenses légèrement supérieure au PIB, le déficit annuel atteindra « 66 milliards d'euros en 2020 » (hors charges de la dette) sans réforme de structure . Autre constat implacable : même si l'équilibre financier de la branche maladie était atteint à l'horizon 2010, « la dette accumulée serait de 80 milliards d'euros ».
Un tel niveau de déficits, une trésorerie aussi calamiteuse interdisent le statu quo.
Mais c'est bien là l'unique point de consensus. Après la déroute électorale de la droite et le recentrage « social » de l'équipe gouvernementale, trois questions se posent à propos de cette réforme périlleuse : quel calendrier ? quelle méthode ? et surtout quel contenu ?
Sur le premier point, l'agenda actuel (document d'orientation dans la seconde quinzaine d'avril, négociations de mai à mi-juin avec tous les syndicats, réforme bouclée avant le 14 juillet) semble difficile à tenir. Beaucoup, y compris à droite, estiment qu'un tempo plus lent est devenu indispensable pour rechercher l'adhésion de l'opinion publique. Quant à la méthode, la procédure des ordonnances est rejetée par la gauche qui refuse que le débat parlementaire soit escamoté. Reste l'essentiel : le contenu de la réforme, qui concernera tous les Français et sans délai (contrairement aux retraites). Là encore, le gouvernement est pris entre deux feux. D'un côté, un replâtrage serait, aux yeux de la plupart des experts, « irresponsable », car il ne ferait que reporter une dette colossale sur les générations futures. Mais de l'autre, le vote-sanction des régionales a révélé une insécurité sociale qui s'accommode mal de nouveaux sacrifices. Du coup, certaines pistes à l'étude pour « responsabiliser » les assurés sociaux par le porte-monnaie (franchise de un ou deux euros par boîte de médicaments, nouveaux déremboursements) pourraient être écartées. « Le vote des Français doit être bien interprété, a mis en garde François Hollande, premier secrétaire du PS. La gauche souhaite des réformes mais des réformes justes et équitables. »
Quelles que soient les mesures décidées, elles devraient emprunter trois voies : une nouvelle « gouvernance » de l'assurance-maladie permettant de clarifier les relations entre l'Etat et les caisses, de donner davantage de poids aux mutuelles et d'offrir une alternative au paritarisme dont l'arrêt de mort a été signé avec le départ du Medef ; deuxièmement, une amélioration de la qualité et de l'efficacité du système de soins, en agissant sur les comportements des patients et des professionnels de santé (avec l'espoir d'infléchir enfin la hausse des dépenses) ; enfin, une réforme inéluctable du financement, sachant qu'un point supplémentaire de CSG rapporterait 9 milliards d'euros en année pleine mais risquerait de freiner la consommation, donc la croissance.
Au lendemain d'élections régionales impitoyables, le gouvernement semble revenu à la case départ sur l'assurance-maladie : l'ampleur des dégâts est connue, les choses s'aggravent semaine après semaine mais, alors qu'aucun choix n'a été fait, l'opinion est moins préparée que jamais à accepter des mesures douloureuses.
A fendre l'AME
LA REFORME de l'aide médicale d'Etat (AME) ira-t-elle à son terme - les décrets d'application attendent d'être signés - alors qu'elle a rallié contre elle les partenaires associatifs et le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) ?
Synonyme pour le gouvernement d'une dérive sans contrôle des coûts, le système de l'AME, qui garantissait l'accès à la prévention et aux soins pour quelque 170 000 étrangers en situation irrégulière, a été révisé par le vote de l'article 49 du code de l'action sociale et de la famille. Problème : les modifications proposées n'entraîneront pas d'économies réelles, protestent les associations - 156 en tout -, mais, affirment-elles, elles mettront en danger la santé publique. 934 000 personnes ont, à ce jour, signé la pétition adressée au gouvernement pour dénoncer « une catastrophe sanitaire en gestation ».
>> CH. D.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature