LA NOUVELLE production de « Carmen » du Châtelet-Théâtre musical de Paris aura été un feuilleton à rebondissements (voir « le Quotidien » du 19 mars). Successivement évincés pour des raisons non artistiques, John Eliot Gardiner, pour la direction, et Sandrine Anglade, pour la réalisation scénique, en ont fait les frais. La direction du Châtelet a opté pour la solution de remplacement consistant à récupérer une mise en scène du Staatsoper Berlin (ville d'Europe où l'on ne conçoit pas de succès sans provocation, à l'origine du sobriquet inventé par les Américains d' eurotrash) datant de 2004, réalisée par l'Autrichien Martin Kusej et déjà vue sur Arte avec ses interprètes d'origine Marina Domashenko et Ricardo Villazón.
A Kusej, on doit quelques mises en scène remarquables, notamment sa « Clemenza di Tito » salzbourgeoise et sa « Lady Macbeth de Mtsensk » d'Amsterdam, que l'on se réjouit de revoir à l'Opéra de Paris en 2008. Reprise par une assistante, Elana Tzavara, cette production semble faite sur mesure pour Berlin et n'est pas le reflet du talent de l'Autrichien, dont on montrait le travail pour la première fois à Paris. Bonne chose, on ne l'aura pas exposé outre mesure car, présent dans la salle à la première, il n'est pas venu saluer aux rideaux.
Cette « Carmen » fait table rase de l'Espagne, sauf au IV où paraissent sur fond blanc quelques somptueux « habits de lumière » (costumes d'Heidi Hacki), notamment le toréro blessé à mort par son taureau pendant que José tuait sa « Carmen adorée ». Belle idée, si elle n'était systématiquement exploitée car l'opéra baigne dans le sang, commençant et finissant par le peloton d'exécution de José, le Lieutenant et même Micaëla étant tués, un vrai drame shakespearien !
Les autres actes sont gris (décors de Jens Kilian), blockhaus pour le I et peu de pittoresque, beaucoup de violence notamment sur la personne de Micaëla, blonde sixties à chignon banane, château d'eau et flaques d'eau sur scène pour l'auberge de Lilias Pastia « près des remparts de Séville », ruines d'église en tourniquet pour le III avec du kitsch à n'en plus finir, dont l'apparition de Carmen debout sur un autel, costumée en Saint Vierge, est un des sommets. Bref, plus allemand, on meure !
On reconnaît la patte de Kusej, experte à mettre en scène la sexualité, la bestialité, notamment à la manufacture de tabac où, selon Mérimée, « les femmes se mettent à leur aise, les jeunes surtout, quand il fait chaud ». Ici, elles sont plus qu'à leur aise, plutôt sorties tous sexes confondus d'un magasin de lingerie, mais l'efficacité n'est pas garantie. On attendra sa « Lady Macbeth », de Chostakovitch, pour mesurer toute l'étendue de son talent en la matière (le DVD de ces représentations d'Amsterdam le permet déjà grâce à Opus Arte).
La plus indécente.
Est-ce pour rivaliser avec tant de frénésie ou bien pour compenser la grisaille des décors que Marc Minkowski a opté pour une conception bruyante, assourdissante même, de la partition ? Si « Carmen » est un chef-d'œuvre, ce n'est pas seulement pour son efficacité dramaturgique (et la qualité de son livret d'après Mérimée, on l'oublie trop souvent), mais pour son orchestration d'un infini raffinement dans les équilibres de timbres, l'invention mélodique et le génie, peut-on dire, qu'à eu Bizet de « surfer » aux limites de la vulgarité. Minkowski force le trait, ajoute des intentions à chaque mesure, change arbitrairement les tempi, surcharge et étouffe une musique qui ne demande qu'à couler d'elle-même. Il a véritablement gâché une soirée qui aurait pu être musicalement honorable.
Car Sylvie Brunet, si on lui passe un jeu un peu guindé dans cette production déjantée (mais a-t-elle vraiment été dirigée en l'absence de Kusej dans le sens de la mise en scène ?), est une belle Carmen avec les moyens et la classe vocale du rôle.
L'Autrichien Nikolai Schukoff a le tempérament tragique mais pas vraiment la voix que l'on attend d'un Don José, plus timbré dans le registre barytonant, mais assez pauvre dans un aigu de plus un peu périlleux.
L'Escamillo de belle stature physique du Néo-Zélandais Teddy Tahu Rhodes est sans substance, sans graves et d'un débraillé vocal affligeant. Le public ne s'y est pas trompé en acclamant plus que les autres l'excellente Autrichienne Genia Kühmeier, Micaëla un peu froide mais somptueuse de ligne et de timbre.
Depuis la magnifique « Carmen » de l'Opéra de Paris (salle Favart), de Faggioni et Frigerio, en 1982, avec Teresa Berganza (amateurs d'éditions DVD non officielles, cherchez bien...), Paris, ville de sa création, n'a pas été capable d'en montrer une décente. De toutes, celle-ci est certainement la plus indécente.
Théâtre du Châtelet : 01.40.28.28.40 et www.chatelet-theatre.com. Les 22, 26 et 28 mai à 19 h 30.
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