Depuis l’étude fondatrice publiée dans le New England Journal of Medicine en 2012, tout s’est accéléré. Elle démontrait alors que des anticorps monoclonaux anti-PD1 (voir encadré 1) permettaient d’obtenir des réponses objectives chez 20 à 25 % des patients présentant un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), un mélanome de stade avancé ou un cancer du rein. Cette étude soulevait des questions toujours d’actualité : la disparité des réponses en fonction du type de cancer traité ? la pertinence d’un biomarqueur, l’expression de PDL1, pour prédire la réponse à l’immunothérapie qui permettrait de sélectionner au mieux les patients ? La durabilité des réponses observées ? Depuis, l’engouement pour l’immunothérapie ne s’est pas démenti cette année à l’Asco (American Society of Clinical Oncology).
L’immunothérapie… une innovation de rupture en cancérologie
Elle est constituée de biothérapies – anticorps monoclonaux – qui sont évaluées en monothérapie mais également en association avec d’autres traitements d’immunothérapie ou encore des thérapies ciblées dont la pharmacorésistance apparaît inéluctablement après six mois de traitement en moyenne.
« L’essor de l’immunothérapie est transversale, elle intéresse pratiquement tous les cancers », affirme le Pr Eric Tartour (immunothérapeute, HEGP, Paris) et donne des résultats probants chez des patients qui sont le plus souvent en impasse thérapeutique, avec des cancers qui ont des pronostics très sombres.
« La durée des réponses est, pour moi, l’événement majeur, insiste le spécialiste. Nous avons aujourd’hui des patients longs répondeurs, notamment dans le mélanome : 15 % à 20 % des patients sont en rémission complète après cinq ans de traitement. Nous pouvons commencer à parler de guérison... » L’enjeu est énorme. C’est pourquoi des grands laboratoires pharmaceutiques se livrent à une course effrénée vers cette innovation de rupture. Les laboratoires BMS ont ouvert la voie et poursuivent l’aventure, de même que MSD, Roche, et bien d’autres…
Des résultats impressionnants présentés à l’Asco…
- Le nivolumab* (Opdivo, BMS) a marqué les esprits, en particulier l’étude CheckMate-067 de phase III qui a évalué la combinaison nivolumab, l’anti-PD1, et ipilimumab (Yervoy, BMS), anti-CTLA4, en traitement de première ligne du mélanome avancé (stades III ou IV). Elle montre des résultats impressionnants avec une médiane de survie sans progression de 11,5 mois avec la combinaison anti-PD1 et l’anti-CTLA4 versus 2,9 mois avec l’anti-CTLA4 seul (p<0,001) et 6,9 mois avec le nivolumab utilisé en monothérapie (p<0,001). Chez les patients qui avaient des tumeurs exprimant le ligand PDL1, la médiane de survie sans progression était encore plus longue (14 mois) dans les groupes combinaisons et dans le groupe nivolumab seul ; chez les patients n’exprimant pas PDL1, l’association faisait mieux que le nivolumab seul : 11,2 mois versus 5,3 mois.
Deux essais pivots de phase III (ChekMate-017 et -057) dans les cancers bronchiques, épidermoïdes et non épidermoïdes avancés, démontrent que le traitement par nivolumab versus le traitement standard chimiothérapie à base de docetaxel, apporte un bénéfice en terme de survie globale chez des patients prétraités. Dans l’essai ChekMate-057 qui s’est intéressé aux CBNPC non épidermoïdes, la survie globale est significativement augmentée dans le groupe nivolumab : 12,2 mois versus 9,4 mois dans le groupe doublet de chimiothérapie à base de docetaxel (HR = 0,73 ; p< 0,0015).
La survie globale à un an a été de 51 % dans le groupe nivolumab versus 39% dans le groupe docetaxel.
- Comme le nivolumab, le pembrolizumab** (développé par MSD) est actuellement évalué dans différents cancers (cancers urothéliaux avancés, cancers digestifs, cancers cutanés, cancers ORL…) au travers de différentes lignes thérapeutiques, en monothérapie ou associé à d’autres agents (thérapies ciblées). Dans le cancer tête et cou au stade métastatique ou en rechute, soulignons l’étude de phase Ib de la cohorte de patients KEYNOTE-012, qui montre que l’administration de 200 mg de pembrolizumab toutes les trois semaines par voie IV permet d’obtenir un taux de réponse global de 25 % chez des patients (n=132) lourdement prétraités ou en rechute de leur cancer ORL (n=132), quel que soit leur statut PD-L1, c’est-à-dire de l’expression du ligand de PD1 et du statut HPV (Human Papilloma Virus).
Le pembrolizumab a également montré une efficacité dans les cancers digestifs (cancers de la jonction œsogastrique ou de l’estomac, cancers colorectaux avec instabilités microsatellitaires (May 30, 2015DOI: 10.1056/NEJMoa1500596), dans les cancers bronchiques. Une étude très récente parue dans le NEJM en avril 2015 (April 19, 2015DOI: 10.1056/NEJMoa1503093) concernant l’étude KEYNOTE-006 comparant pembrolizumab versus ipilimumab (Yervoy, BMS) en monothérapie dans le mélanome aux stades avancés de la maladie révèle une amélioration de la survie sans progression ainsi que de la survie globale avec un profil de tolérance acceptable, moins de toxicité de hauts grades versus ipilimumab.
- Le MPDL3280A (anti-PDL1) développé par Roche a été évalué dans une étude phase I multicentrique, ouverte, chez des patients souffrant de cancer de vessie métastatique précédemment traité. Seuls les patients exprimant PDL1 ont été inclus. Le taux de réponse objective mesuré selon les critères RECIST a été de 43 % après six semaines de suivi et de 52 % après douze semaines. Le profil de toxicité était attendu. La FDA a accordé au MPDL3280A le statut de percée thérapeutique pour accélérer le développement de cette biothérapie dans un cancer où les besoins thérapeutiques sont importants.
… Mais il existe une disparité de réponse à l’immunothérapie suivant les cancers
« Il ne faut pas donner de faux espoirs. L’immunothérapie ne guérira pas tout le monde. En tout cas pas encore. Pour observer une réponse aux nouvelles immunothérapies, le patient doit avoir présenté une réponse immunologique naturelle, spontanée, réponse que l’on caractérise en analysant la tumeur. » Des travaux ont montré que les types de cellules immunitaires infiltrant les tumeurs, leur densité, et leurs localisations dans la tumeur influençaient fortement le devenir clinique des patients.
Ceci peut expliquer les disparités de réponse pour les cancers colorectaux : dans la majorité des cas, ces tumeurs ne répondent pas à l’immunothérapie. Seul un sous-groupe de cancers colorectaux dits MSI – c’est-à-dire présentant des instabilités microsatellitaires avec un fort taux de mutations – répond à l’immunothérapie. Ces tumeurs sont fortement infiltrées par des lymphocytes T-CD8. Il existerait un lien entre le taux de mutations et l’immunogénicité de la tumeur reflétée par l’infiltration des cellules immunitaires. Ces travaux apportent des arguments pour associer un typage moléculaire et immunologique de la tumeur.
Au-delà des immunomodulateurs de type inhibiteur de checkpoint, des approches de thérapie cellulaire avec des lymphocytes T modifiés ont également donné des résultats très prometteurs en hématologie.
Toutes ces actualités inaugurent l’arrivée de nouvelles molécules, nouvelles associations, nouvelles stratégies…. Aurons-nous les moyens économiques de cette course effrénée vers l’innovation de rupture…?
* La Commission européenne vient d’approuver Opdivo (nivolumab, BMS), premier anti-PD1 en Europe, pour les patients atteints de mélanome avancés en première ligne ou préalablement traités. Le nivolumab est en ATU de cohorte en seconde ligne dans les cancers bronchiques non à petites cellules.
** Le Keytruda® ou pembrolizumab a l’AMM aux États-Unis dans le traitement des patients présentant un mélanome non résécable ou métastatique, maladie en progression après ipilimumab ou anti-BRAF en cas de mutation BRAF V600 positive. En France, le pembrolizumab est en ATU de cohorte depuis août 2014 dans cette même indication.
*N Engl J Med 2012 ; 366 : 2443-2454)
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