LE CHOC est d'autant plus violent qu'on sort brutalement d'un paysage édénique pour découvrir, en quelques mètres, douze jours après les événements, les séquelles du tsunami. Après le rêve, version palmeraie étale, nimbée de soleil oblique, avec ses plans d'eau fleuris de nénuphars et de lotus, ses hérons blancs et autres paons hiératiques au pied des rhododendrons géants en fleurs, tout à coup, après le check-point à trois miles de Pottuvill, le chaos : la petite ville (environ 40 000 habitants), lorsque la dune ne la protégeait pas, a été envahie par les boues. Les façades des échoppes sont ruinées. Les passants s'agitent dans tous les sens pour déblayer les gravats encore épars, ramassés le plus souvent à mains nues.
Mais l'enfer, c'est au bout de la route, vers la mer. La plage d'Arugam Bay a gardé la plupart de ses palmiers à proximité du pont qui traversait le lagon et que le tsunami a emporté sur une vingtaine de mètres, le tiers de sa longueur. Pour rejoindre, en face, la petite station très en vogue parmi les surfers, la jungle road ayant disparu sous les flots, il n'y a plus que les navettes en canot. Les bulldozers n'ont pas pu accéder au désastre. Les trois quarts des maisons qui bordent la rue principale n'ont pas tenu le choc. Sur des amas de briques, des enseignes colorées de ce qui fut l'hôtel de la Palmeraie, ou de la pension du Soleil.
Une centaine de consultations en un jour.
Depuis deux jours, l'ERU (Emergency Response Unit), le dispensaire installé par la Croix-Rouge française, a pignon sur le sinistre, en face du commissariat, dont le 4 x 4 a été broyé par les eaux, seul immeuble à rester debout, flanqué des décombres de la Bank of Ceylan et de l'hôtel Siam, parmi les épaves explosées un peu partout des embarcations de pêcheurs et de plaisanciers. Dans ce décor, pas de voiture, bien sûr, des passants qui s'empressent dans la confusion, sous des vols de corbeau.
« Hier, nous avons accueilli une centaine de personnes en consultation, explique Jean-Michel Pin, l'infirmier qui supervise le fonctionnement de l'ERU. Avec nos quatre basic unit kits de l'OMS et nos malles de médicaments fournies par l'ONG Tulipe, nous avons des moyens de prise en charge utiles. En fait, il n'y a pas à traiter d'urgences vitales. A part quelques cas aigus, comme ce matin une fillette en insuffisance respiratoire, on rencontre surtout de la petite traumatologie chez des patients qui ont attendu avant de pouvoir consulter. Les plaies, évidemment, ne sont pas arrangées par les contacts avec l'eau de mer et le sel. »
Pour l'équipe de la Croix-Rouge qui a réalisé l'installation, c'est le sentiment d'une mission accomplie qui domine. Même si les interrogations demeurent sur les réfugiés qui auraient préféré fuir à destination de la jungle toute proche. L'étape suivante, qui échoira à la deuxième équipe d'ERU fraîchement débarquée de Paris, ce sera l'envoi d'équipes mobiles, à la recherche des patients perdus. Des cliniques ambulatoires, avec les caisses Tulipe, devraient embarquer dans les jeeps.
A l'accueil des consultations, Marie, psychologue de son état, n'a pas noté de phénomènes visibles de décompensation, sinon des comportements hyperactifs de mauvais augure. Comme chez Frédéric, 33 ans, Parisien qui venait passer ses vacances au Sri Lanka et qui raconte avec une volubilité impressionnante : « Etant donné la configuration très refermée de la baie, la vague s'est fracassée sur la ville à une dizaine de reprises, avec une sorte de mouvement infernal de balancier. A chaque coup, l'eau montait en un instant sur plusieurs mètres, redescendait, puis remontait de plus belle. »
Son regard va de la rue à la plage, distante d'une cinquantaine de mètres. Les palmiers et quelques cabanes montées sur pilotis ont tenu le choc, à la différence des structures en dur, probablement épargnés par leur absence de prise aux éléments déchaînés. « Il faut que les bulldozers arrivent. Mais ils ne peuvent pas passer. On est ici dans l'endroit le plus isolé de l'île », murmure-t-il, tout à coup silencieux.
« C'est probablement l'urgence médicale actuelle, commente le Dr Jean-Claude Manuguerra : faire disparaître ce tableau de fin du monde au plus vite, et reconstruire, quitte à ne plus bâtir les pieds dans l'eau. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature