Le 15 mars 1917, le tsar abdique, un gouvernement provisoire est formé, dans lequel les Soviets (conseils) partagent un moment le pouvoir avec les libéraux. Très vite, les bolcheviks, courant socialiste radical emmené par Lénine, vont s'imposer, dans ce qui est moins une révolution qu'un coup d’État. Un régime totalitaire se crée, l'un de ses hauts faits étant en décembre 1917 la création de la Tcheka, police politique qui, très vite, va prendre des mesures concernant les artistes.
Si nombre de ces derniers sont à ce moment à l'étranger, tels les Ballets russes de Diaghilev ou Igor Stravinsky, d'autres vont quitter le pays, Vasily Kandinsky en 1921, Marc Chagall en 1922. Tzvetan Todorov éclaire avec soin les différentes démarches des artistes, leur sens et le rapport aux conceptions de la création qu'elles présupposent.
Fils d'un propriétaire terrien, l'écrivain Ivan Bounine quitte Moscou en 1918. En 1920, il réussit à émigrer en France. Son conservatisme va de pair avec un sentiment d'effroi devant la violence, les meurtres arbitraires.
Tout aussi intéressant est le cas d'un autre écrivain, Mikhaïl Boulgakov, né en 1891. Médecin exerçant en province, il se rend à Moscou et, dans une lettre à sa sœur datée du 31 décembre 1917, il écrit : « Le temps ancien reviendra-t-il ? Le présent est tel que je m'efforce de vire sans le remarquer… ne pas voir, ne pas entendre. »
Plus complexe et sinueuse est la démarche de Gorki, né en 1868. Il part en 1921, revient plusieurs fois en visiteur, puis en 1932 et reste en Russie jusqu'à sa mort en 1936. Descripteur des humbles, orphelin ayant connu une vie misérable, Gorki est le témoin d'événements qui le conduisent à être de « sensibilité socialiste, non doctrinaire ». Mais, très vite, il observe que cette soi-disant révolution est un retour à ce qu'il y avait de pire dans le régime tsariste. « Lénine, dit-il, se conduit comme un chimiste dans son laboratoire. »
Plus brouillée est l'attitude du peintre Kasimir Malevitch, auquel sont consacrées d'intéressantes pages. Son style non figuratif lui vaut d'être arrêté en septembre 1930. Il sort de prison déprimé. Son exposition à Moscou en 1931 lui vaut d'être traité de représentant de « l'art impérialiste », l'équivalent de « l'art dégénéré » des nazis. Malevitch s'en sortira, si l'on peut dire, en injectant des éléments personnels dans des tableaux consacrés à des motifs « officiels », moissonneurs ou charpentiers.
Le livre de Tzvetan Todorov se clôt par d'assez troublantes réflexions. « Aucun courage particulier n'est nécessaire pour évoquer les conséquences désastreuses de la révolution d'octobre », dit-il, mais ce pays disparu (l'Union soviétique) « a quelque chose à nous apprendre ».
En l'occurrence, selon l'auteur, qu'il faut cesser de penser que le totalitarisme représenterait le Mal et nos démocraties libérales le Bien. La guerre en Yougoslavie, la brutalité des interventions américaines, le formatage des êtres humains montrent qu'à l'Ouest, il n'y a rien de nouveau.
Certes, mais s'agissant d'un ouvrage sur la possibilité pour les artistes de créer librement, renvoyer dos à dos les régimes totalitaires et les démocraties peut, pour le moins, jeter le trouble.
Tzvetan Todorov, « le Triomphe de l'artiste », Flammarion/Versilio, 336 p., 20 €
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