Arrêts de travail : les médecins libéraux stigmatisent des propositions « ringardes »

Publié le 18/11/2003
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« Ça n'a aucun sens de gesticuler à partir d'un diagnostic incomplet. La voie que propose le rapport de l'IGAS - celle de la menace, de la sanction - est complètement ringarde. » Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, donne le ton. On ne peut pas dire que les propositions faites au gouvernement par l'inspection générale des Affaires sociales (IGAS) et l'inspection générale des Finances (IGF) pour faire le ménage dans les arrêts de travail et endiguer la folle hausse des dépenses liées aux indemnités journalières (« le Quotidien » du 17 novembre) enthousiasment les syndicats médicaux.

Rappelons que les recommandations du rapport de l'IGAS et de l'IGF sont doubles : les unes s'attachent à la remise en ordre des droits et du montant des IJ ; les autres à un contrôle plus efficace, par le service médical de l'assurance-maladie, des comportements des assurés et des médecins. Avec sanctions à la clé.
Personne, parmi les représentants de médecins libéraux, n'affiche d'hostilité au principe du contrôle -  « Nous n'avons jamais été contre. Nous remarquons juste que ce sont toujours les gens qui prescrivent convenablement qui sont contrôlés », ironise le Dr Michel Combier, qui préside l'UNOF (la branche généraliste de la CSMF). Tous repoussent en revanche le principe de la « culpabilisation » des prescripteurs. Le Dr Dinorino Cabrera qui, au nom de son syndicat, le SML (Syndicat des médecins libéraux), réclame depuis plusieurs mois un accord de bon usage des soins (AcBUS) sur les arrêts de travail, s'emporte : « Peut-être qu'il y a des choses à corriger, peut-être qu'il y a des déviances, il s'agit de les comprendre avant de décider quoi que ce soit. Moi, par exemple, je voudrais savoir pourquoi il y a de gros prescripteurs d'arrêts de travail : le rapport ne le dit pas. Si c'est lié à la structure de leur clientèle, il n'y a rien à redire. Si en revanche il apparaît que certains de ces médecins ont tendance à abuser, alors il faut trouver une solution. Mais une analyse fine des choses est nécessaire avant de culpabiliser les médecins. Il n'est pas question de nous refaire le coup de la canicule ». Le président de la FMF (Fédération des médecins de France), le Dr Jean-Claude Régi, est sur une ligne proche quand il qualifie de « bonne chose » le renforcement et la systématisation des contrôles de la Sécurité sociale sur les prescriptions d'arrêts de travail. Car « ces contrôles doivent aider, conforter le médecin souvent confronté à des pressions, pas le sanctionner », s'empresse d'ajouter le Dr Régi qui balaie d'un revers de main « les quelques médecins qui font des arrêts de travail leur fond de commerce - ils sont anecdotiques, on ne peut pas baser une politique sur ces individualités ».

Des prescripteurs démunis

De « l'aide ». Le mot est lâché. Si l'on en croit leurs représentants syndicaux, c'est bien ce dont semblent avoir besoin les médecins prescripteurs d'arrêts de travail. Plus que des coups de bâtons. Car dans beaucoup de situations, ils se sentent démunis. Face à des patients trop exigeants mais pas seulement. « Le travail est devenu une source de malaise, explique le Dr Combier, et souvent, les conflits du travail (tensions avec l'encadrement, pression des difficultés de l'entreprise...) sont causes de perturbation pour les gens. Cela nous pose un problème. Dans la mesure où les gens sont "malades du travail", on se demande presque s'il ne faudrait pas définir une maladie professionnelle ». Le Dr Régi, lui aussi, s'interroge : « Quand, dans un bassin de vie où une usine ferme ses portes, les arrêts de travail montent en flèche, qu'est-ce que cela signifie ? N'est-on pas en face d'un traitement social du chômage ? »
Certains militent, sans forcément aller jusqu'à l'AcBUS du Dr Cabrera, pour une sensibilisation du public à la question des arrêts de travail. « Aujourd'hui, ça ne coûte plus rien de s'arrêter de travailler (il y a même des gens qui gagnent plus en arrêt qu'en travaillant). Expliquer que ça revient très cher à la collectivité, comme on l'a fait pour les visites, pourrait limiter les demandes », estime Michel Combier.
Du côté de MG-France, on va plus loin en défendant une approche différenciée des arrêts de travail selon qu'ils sont délivrés dans le cadre de thérapeutiques actives ou dans celui de situations consolidées ou stabilisées. « Dans le premier cas - on parle de soins aigus, de maladie, de fracture, d'accidents, de chimiothérapie... c'est-à-dire de traitements aigus qu'ils soient très brefs ou plus longs, les médecins de ville se sentent pleinement concernés par les arrêts qu'ils prescrivent. Dans le second cas - il s'agit d'arrêts de longue durée pour lesquels les décisions sont beaucoup plus liées à la nature du travail, de l'entreprise, au cadre administratif dans lequel s'inscrit la reprise -, le médecin prescrit mais en considérant que la responsabilité est d'abord technico-administrative », estime le Dr Costes. Pour le président de MG-France, il ne fait pas de doute que ces arrêts-ci, plus évidemment du ressort des médecins-conseils, des médecins du travail ou des médecins experts des différentes commissions, « ne sont pas revendiqués par les médecins libéraux ».
Dernier reproche formulé par les syndicats médicaux à l'encontre des travaux des services administratifs des ministères des Finances et de la Santé : ils sont partiels puisqu'ils laissent de côté toute la fonction publique. Or, observe le Dr Costes, « pour aller au fond du sujet, on n'a pas le droit de stigmatiser les salariés du privé sans étudier les autres ». Le Dr Combier renchérit : « Toute la frange des fonctionnaires n'est pas touchée par les mesures préconisées par l'IGF et l'IGAS. Ce ne sont peut-être pas ceux qui s'arrêtent le moins.»

Karine PIGANEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7428