A la demande conjointe des ministères des Finances et de la Santé, l'IGF (inspection générale des Finances) et l'IGAS (inspection générale des Affaires sociales) viennent de rendre un rapport sur les dépenses d'indemnités journalières (IJ). Des dépenses, on le sait, en forte croissance depuis quelques années (+ 46 % entre 1997 et 2002).
Comme une partie de la hausse ne s'explique pas par des facteurs démographiques ou conjoncturels, et comme il est « probable », notent les deux inspections, « que le comportement des assurés et des prescripteurs a joué un rôle important », le rapport se propose de contenir le mouvement par deux moyens. D'abord la remise en ordre des droits et du montant des IJ. Ensuite l'intensification du contrôle des assurés et des médecins - ceux qui perçoivent indûment des indemnités journalières doivent être effectivement poursuivis ; ceux qui prescrivent des arrêts de travail non justifiés doivent faire l'objet de sanctions.
« Des pratiques anormales sont à l'uvre depuis des années dans ce secteur de l'assurance-maladie », les auteurs du rapport en sont « convaincus ». Cibles de l'IGAS et de l'IGF au même titre que les assurés et le service médical de l'assurance-maladie, les médecins sont donc appelés à la responsabilisation. Et ils ne sont pas ménagés. Le rapport insiste : ils « doivent admettre que les excès et les abus de quelques-uns sont à combattre efficacement » ; ils doivent reconnaître qu' « aucune explication convaincante n'a pu par exemple rendre compte du fait que certains médecins prescrivent cinq fois plus d'IJ que d'autres ».
En agissant sur eux, les inspections veulent à la fois dépister les abus ( « prescriptions anormalement nombreuses, inadéquation entre les éléments médicaux et la durée prévue de l'arrêt de travail... ») et contenir le volume des prescriptions d'arrêts de travail. Trois mesures sont esquissées pour mettre fin, chez les médecins, aux « comportements aberrants ».
Certains médecins « sous surveillance »
La première consiste à rendre la prescription plus précise en adaptant le formulaire d'avis d'arrêt de travail sur le modèle de ce qui existe pour les prescriptions de transport (réponses à cocher pour une série de questions) et en identifiant les prescripteurs pour les arrêts de travail signés en sortie d'hospitalisation (ce qui ne serait presque jamais le cas aujourd'hui).
La deuxième piste s'attache aux « plus gros prescripteurs », qu'il s'agirait de mettre « sous surveillance » : à charge pour chaque CPAM (les usages, voir tableau, sont géographiquement très divers) de définir un comportement moyen des médecins de son ressort et de regarder de très près ceux qui sortent par trop des clous. Certaines des prescriptions d'IJ de ces médecins (en particulier les prescriptions longues ou les renouvellements) pourraient être soumises à l'accord préalable du médecin-conseil.
Les réserves de la CNAM
Que se passera-t-il en cas de prescription abusive ? Déférer, comme c'est le cas actuellement, devant la section des assurances sociales du conseil régional de l'Ordre ? Non, une « sanction », et c'est la troisième proposition de l'IGF et de l'IGAS. « Il faut, plaident-elles, que le prescripteur puisse être pénalisé. » Sans entrer dans le détail de ce que pourrait être ce futur bâton, le rapport estime qu'il doit s'inscrire dans un système plus vaste « qui dépasse les seules prescriptions non justifiées d'IJ (et) traite l'ensemble des prescriptions médicales » et suggère des sanctions « pécuniaires et graduées » : sont cités en exemple les déconventionnements pour une certaine durée, la suspension du droit de prescrire des arrêts de travail indemnisés, les amendes. Les caisses piloteraient le dispositif et les médecins contestant leurs décisions devront faire appel devant le tribunal des affaires de la Sécurité sociale (TASS). Disparues il y a un an avec la loi de financement de la Sécurité sociale de 2003 (LFSS), les sanctions montrent donc de nouveau le bout du nez.
On ne connaît pas encore le sort que réserve le gouvernement à ces propositions. Les ministres en charge du dossier (Francis Mer pour l'Economie, Alain Lambert pour le Budget, Jean-François Mattei pour la Santé) se sont bornés à indiquer qu'ils allaient en « mener conjointement une analyse approfondie (...) afin de mieux lutter contre les abus et les dépenses injustifiées au travers d'un contrôle mieux organisé et plus efficace ».
Il en est une, toutefois, qui réserve un accueil mi-figue mi-raisin aux recommandations de l'IGF et de l'IGAS, c'est la CNAM (Caisse nationale d'assurance-maladie). A ses yeux, le rapport est un peu prématuré et tire quelques conclusions hâtives. « Nous partageons, y explique-t-on, le constat sur la forte hausse des IJ. Une partie de cette augmentation n'est pas explicitée. Nous avons entrepris une analyse pour mieux la comprendre. Mais sans cette analyse, et même s'il y a sans doute des abus - contre lesquels nous avons présenté un plan d'action en juillet dernier -, il est de parti pris de parler de dérives. »
Sans répondre directement aux auteurs du rapport, qui demandent au service médical, à moyens constants, de se montrer plus musclé et plus efficient, la CNAM affirme que l'efficacité des contrôles repose davantage sur leur ciblage que sur leur nombre : si l'on fait des contrôles non ciblés, rappelle-t-elle, on trouve en moyenne 6 % d'arrêts injustifiés ; si on les cible, on en trouve 16 %.
En revanche, la Caisse rejoint totalement l'IGF et l'IGAS sur le chapitre des pénalités appliquées aux médecins. « Nous déplorons comme elles l'absence de dispositif de sanctions. C'est pourquoi nous proposons depuis plusieurs années aux autorités de tutelle des procédures adaptées de sanctions financières des médecins qui prescrivent des arrêts de travail injustifiés sur le plan médical. Nous regrettons d'ailleurs que ces propositions aient été encore une fois écartées dans le cadre du PLFSS 2004. » Rappelons que l'assurance-maladie évalue à 1 % la proportion de médecins ayant un comportement qu'elle qualifie de « déviant », et donc exposés aux sanctions qu'elle appelle de ses vux.
Nombre dIJ versées par salarié | |||
Les meilleurs élèves | Les plus mauvais | ||
Paris Hauts-de-Seine Yvelines Val-de-Marne Cantal Manche Sarthe Calvados Marne Deux-Sèvres |
6,3 6,8 7,5 7,6 7,6 7,9 8,2 8,2 8,2 8,2 |
Puy-de-Dôme Isère Var Vaucluse Loire Gard Haute-Loire Corse-du-Sud Bouches-du-Rhône Haute-Corse |
12,1 12,6 12,8 12,9 13,2 13,5 14,1 15,1 15,4 18,0 |
Total France métropolitaine : 9,9 Source : CNAMTS-DES. |
200 millions de journées indemnisées
Les indemnités journalières (IJ) maladie du régime général de l'assurance-maladie ont représenté en 2002 une dépense de 5,1 milliards d'euros, couvrant 6,7 millions d'arrêts de travail et 200 millions de journées indemnisées.
Les dépenses sont très concentrées à la fois sur les salariés les plus âgés (au premier semestre 2003, les plus de 50 ans ont consommé 34 % des IJ) et sur les arrêts de travail les plus longs - en quatre ans, entre 1994 et 1998, un petit tiers des assurés a totalisé moins de 15 jours d'IJ, équivalant à 2 % des montants totaux d'indemnisation versés, tandis que 4,5 % des assurés accumulaient plus d'un an d'IJ, consommant 43 % de la dépense.
Le nombre d'IJ par salarié varie de 1 à 2,5 entre les départements (voir tableau). Les pratiques des médecins en la matière sont également très diverses, puisque certains sont à l'origine de cinq fois plus d'IJ que d'autres. Les prescriptions d'indemnités sont surtout le fait des généralistes (74 % du total), mais ceux-ci ne signent que la moitié des arrêts de plus de 15 jours. Trois spécialités prescrivent les deux tiers des arrêts des spécialistes libéraux : les gynécologues, les chirurgiens et les chirurgiens orthopédiques.
D'après une enquête menée en 1994, les trois premiers motifs médicaux d'arrêts de plus de deux semaines sont, dans l'ordre, les états anxiodépressifs (autour de 12 % des IJ), les pathologies dorso-lombaires (11,5 %) et les fractures (8,5 %). Près de 18 % des rejets du service médical de l'assurance-maladie concernent les pathologies dorso-lombaires, près de 15 % sont liés à des symptômes de fatigue, fièvre, douleurs abdominales et 10 % à des états anxiodépressifs.
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