De notre correspondante
à New York
B IEN que le charbon (cutané, pulmonaire ou digestif) soit de nos jours une maladie plutôt rare, Bacillus anthracis, responsable de cette infection aiguë, reste une menace bien présente dans les esprits, car il pourrait être utilisé comme arme biologique dans un acte terroriste ou en temps de guerre.
Quelques spores de la bactérie répandus par aérosols pourraient tuer en quelques jours des centaines de personnes. En effet, l'inhalation des spores de B. anthracis entraîne le charbon pulmonaire avec infection systémique, qui conduit presque toujours au décès en un à quelques jours. Il existe bien des vaccins, mais, étant donné la rareté de l'infection, la population générale n'est pas vaccinée. Le traitement actuel par antibiotique n'est généralement plus efficace lorsque sont déjà apparus les symptômes du charbon pulmonaire.
Sellman et coll., une équipe de Harvard, décrivent maintenant une nouvelle approche : il s'agit d'un antidote qui bloque l'action de la toxine et qui pourrait agir à la fois avant ou après l'infection (vaccin ou traitement). Il faut savoir que Bacillus anthracis sécrète dans la circulation sanguine trois protéines - l'antigène protecteur (AP), le facteur létal (FL) et le facteur démateux (FO) - qui, à elles trois, composent la toxine charbonneuse. L'antigène protecteur, soit dit en passant, est appelé de la sorte parce que c'est le principal composant du vaccin américain contre le charbon humain. Ces protéines s'assemblent en toxine sur la surface externe des membranes des cellules cibles. Pour que les symptômes se développent, le facteur létal et le facteur démateux doivent passer à l'intérieur de la cellule hôte, dans le cytoplasme, où ils interfèrent avec la régulation cellulaire.
L'antigène protecteur a pour rôle crucial de permettre l'entrée du facteur létal et du facteur démateux dans la cellule cible. Le système de transport est assez sophistiqué : sept sous-unités identiques d'AP forment un complexe qui fixe FO et FL, lesquels pénètrent ensuite dans la cellule par endocytose ; le complexe AP change alors de forme, avec formation d'un canal permettant l'entrée du FO et du FL dans le cytoplasme de la cellule.
De précédentes observations ont montré que des mutations d'AP peuvent empêcher la translocation de FO et de FL dans la cellule hôte. Sellman et coll. démontrent maintenant que, s'ils mélangent in vitro des molécules d'AP normales et d'AP mutantes, les sous-unités mutantes se comportent de manière dominante, c'est-à-dire qu'elles participent à la formation du complexe, mais empêchent la formation du canal et le déversement de FO et de FL à l'intérieur des cellules. La présence d'une seule molécule AP mutante dans un canal par ailleurs normal pourrait être suffisante pour l'empêcher de fonctionner.
Des rats protégés
Les chercheurs ont ensuite testé leur AP mutant dans un modèle d'intoxication charbonneuse chez le rat. Après injection d'un mélange de FL et d'AP, les rats témoins deviennent moribonds en l'espace d'une heure et demie. Par contraste, si de l'AP mutant est ajouté au mélange létal, les rats ne développent aucune intoxication et survivent tous.
Les trois AP mutants les plus puissants identifiés jusqu'ici par les chercheurs préviennent complètement le développement des symptômes lorsque leur rapport est de 1 à 4 avec les AP normaux. Les chercheurs cherchent à savoir si d'autres AP mutants plus puissants encore pourraient être découverts.
Pour d'autres maladies infectieuses
Cette approche pourrait aussi être utilisée pour d'autres maladies infectieuses causées par des toxines qui agissent à l'intérieur des cellules cibles et doivent entrer par le même mécanisme (par exemple, les toxines de Clostridium, l'hémolysine alpha du Staphylococcus aureus).
« Il sera intéressant de voir pendant combien de temps après l'infection les animaux peuvent encore être protégés par l'AP mutant », notent les Drs Olsnes et coll. (Norwegian Radium Hospital, Oslo) dans un commentaire associé. « L'administration de l'AP mutant aux personnes infectées par le charbon pourrait potentiellement conférer une protection même à un stade avancé de la maladie ». « Un avantage majeur de cette stratégie, ajoutent-ils, c'est que de larges quantités d'AP sont déjà produites pour fabriquer le vaccin anticharbonneux. Il est clair que cette approche est un développement prometteur dans le traitement du charbon humain. »
« Science » du 27 avril 2001.
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