L'histoire
C'est au célèbre médecin véronais Girolamo Fracastor que l'on doit le nom de syphilis, après qu'il eût décrit la maladie qui frappait l'Europe au début du XVIe siècle dans son poème « Syphilis sive morbus gallicus » : Fracastor y raconte l'histoire du berger Syphilis qui, pour avoir outragé Apollon, est frappé par les puissances divines d'un mal douloureux et hideux. En ce temps, la maladie est encore appelée mal français ou mal napolitain, car elle est apparue pour la première fois au décours de la campagne de Charles VIII en Italie, en 1495, alors qu'il assiégeait la ville de Naples avec des troupes majoritairement composées de mercenaires venant de toute l'Europe. Quelques mois plus tard, la démobilisation des troupes et le retour des soldats dans leurs foyers vont permettre une dissémination rapide de la maladie. L'épidémie de syphilis se répand ainsi dans toute l'Europe, plus tard au Moyen-Orient, puis en Asie.
L'origine de la syphilis est en revanche un peu plus controversée. Pour les partisans de la théorie «colombienne», c'est à Christophe Colomb que l'on doit d'avoir ramené la syphilis des Amériques, car une maladie identique était connue chez les Indiens du Nouveau Monde depuis longtemps. Les défenseurs de la théorie «précolombienne» s'appuient sur l'analyse de squelettes datant de l'Antiquité découverts récemment en France, en Sicile et en Grande-Bretagne qui portent des lésions attribuables à des tréponématoses ; ils soutiennent ainsi l'existence de la syphilis en Europe antérieurement aux voyages de Colomb. La vérité est sans doute un peu plus complexe, car si la syphilis est la seule tréponématose vénérienne, il existe d'autres tréponématoses non vénériennes sévissant dans les régions forestières chaudes et humides d'Amérique centrale et du Sud (la pinta), d'Afrique ou d'Indonésie (le pian), ou les régions semi-désertiques chaudes et sèches du Sahel (le béjel).
La clinique
Le chancre syphilitique correspond à la phase de syphilis primaire. Il apparaît environ 3 semaines après le contact sexuel contaminant, en région génitale, anale ou buccale, suivant le mode de contamination. Classiquement, il s'agit d'une lésion érosive, le plus souvent unique, circulaire, de 5 à 10 mm de diamètre, non douloureuse, dure, à fond propre et à bords réguliers. Elle est spontanément résolutive en 4 à 6 semaines. Le chancre peut s'accompagner d'une ou de plusieurs adénopathie(s) satellite(s), également indolore(s). Dans un quart des cas, le chancre n'a pas un aspect typique (chancres géants, chancres multiples, chancres douloureux…).
La phase secondaire survient environ 2 mois après l'apparition du chancre et correspond à la dissémination hématogène de la bactérie. On distingue une première floraison (ou roséole syphilitique), marquée par une éruption maculeuse du tronc et régressant spontanément en 2 semaines, et une deuxième floraison correspondant aux syphilides papuleuses du tronc, du visage, des paumes et des plantes, qui peuvent cependant avoir une évolution très polymorphe (d'où le nom de «grande simulatrice»). Une alopécie en clairière est également évocatrice. Cette phase secondaire dure environ deux ans.
L'évolution de la syphilis est ensuite marquée par une phase de latence, caractérisée par une absence de signes cliniques et dont la durée est très variable. La syphilis tertiaire, qui survenait après la phase de latence, a disparu des pays développés, mais reste présente dans les pays en développement ; elle se caractérise par des manifestations neurologiques (tabès, paralysie générale), cardiaques (anévrisme, aortite) ou cutanées (gomme).
Le diagnostic
La culture de la bactérie Treponema pallidum subspecies pallidum étant impossible, le diagnostic biologique de syphilis repose sur la mise en évidence du tréponème en microscopie optique à fond noir sur les lésions primaires (chancre et adénopathie) ou secondaires (plaques muqueuses et syphilides), et sur la sérologie.
Le diagnostic direct
Le prélèvement doit être impérativement réalisé au laboratoire. Après nettoyage de la lésion à l'eau stérile, le prélèvement à la recherche des tréponèmes est pratiqué avec une curette ou un vaccinostyle permettant le raclage de la lésion et le recueil de la sérosité après pression du chancre. La sérosité est examinée aussitôt entre lame et lamelle au microscope à fond noir, permettant d'observer les mouvements caractéristiques du tréponème. Cet examen manque de sensibilité, le plus souvent en raison de l'expérience de l'observateur, mais également du fait de la faible quantité de bactéries présentes dans l'échantillon.
Le diagnostic indirect
La sérologie est la méthode le plus couramment utilisée pour le diagnostic de syphilis. Il existe deux types de réactions :
– les réactions non tréponémiques (utilisant des antigènes non spécifiques du tréponème, permettant la détection des anticorps anticardiolipides) ; on dispose de deux techniques : le RPR (Rapid Plasma Reagin) et le VDRL (Veneral Disease Research Laboratory) ;
– les réactions tréponémiques utilisant des antigènes spécifiques du tréponème ; on dispose de trois techniques : le TPHA (Treponema Pallidum Hemagglutination Assay), l'ELISA (Enzyme Linked ImmunoSorbent Essay) et le FTA-abs (Fluorescent Treponemal Antibody absorbed).
Selon la nomenclature des actes de biologie médicale, le sérum doit impérativement être testé à la fois par une technique utilisant une réaction non tréponémique et par une technique utilisant une réaction tréponémique. Le VDRL et le TPHA sont le plus couramment utilisés :
– si VDRL et TPHA sont négatifs, on peut éliminer une syphilis, sauf si le patient relate une relation sexuelle potentiellement à risque dans les 3 semaines précédentes ; dans ce cas, il faut contrôler la sérologie ;
– si le VDRL est positif et le TPHA négatif, il s'agit d'une fausse positivité, car le VDRL manque de spécificité ;
– si le VDRL est négatif et le TPHA positif, il peut s'agir soit d'une infection récente (le VDRL se positive un peu plus tardivement que le TPHA), soit d'une infection ancienne correctement traitée ;
– si le VDRL et le TPHA sont positifs, il s'agit d'une syphilis évolutive évidente, à traiter sans délai de même que le(s) partenaire(s).
Il est à noter que les tréponématoses non vénériennes peuvent également donner une sérologie positive avec des antigènes tréponémiques, ce qui doit conduire à une grande prudence dans l'interprétation des résultats si le patient est originaire d'une zone d'endémie.
Le traitement
Le traitement de la syphilis pendant la phase primaire, secondaire ou latente précoce repose sur une injection intra-musculaire unique de 2,4 millions d'unités de benzathine benzylpénicilline. En cas d'allergie avérée aux bêtalactamines, le traitement repose sur la doxycycline (2 x 100 mg/j pendant quinze jours) ou l'azythromycine (500 mg/j pendant dix jours), cette dernière pouvant être utilisée chez la femme enceinte.
Le traitement de la syphilis latente tardive repose sur l'utilisation de la même molécule, à raison d'une injection par semaine pendant trois semaines (soit 3 x 2,4 millions d'unités au total). En cas d'allergie avérée aux bêtalactamines, le traitement repose sur la doxycycline (2 x 100 mg/j pendant 30 jours).
L'épidémiologie
Le nombre de cas de syphilis n'ayant cessé de diminuer depuis de nombreuses années en France, la syphilis a été retirée de la liste des maladies à déclaration obligatoire au début de l'année 2000. Or on a assisté, depuis la fin de l'année 2000, à une recrudescence des cas de syphilis en France. L'augmentation du nombre de cas concerne principalement une population masculine citadine, homo- ou bi-sexuelle, ayant des rapports sexuels non protégés, et dont la moitié est VIH+. Des observations analogues ont été faites dans d'autres pays d'Europe occidentale, en particulier Belgique, Allemagne, Danemark et Grande-Bretagne. Dans les pays d'Europe de l'Est, l'incidence croissante de la syphilis est également avérée depuis le début des années 1990, mais semble plutôt liée à la prostitution et à l'utilisation de drogues intra-veineuses.
Ce retour de la syphilis est inquiétant, car il traduit une reprise des conduites sexuelles à risque. Cela doit rendre les praticiens vigilants dans leur approche diagnostique des ulcérations génitales, mais surtout les inciter à des messages clairs de prévention vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles.
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