LA DESCENTE AUX ENFERS s'est poursuivie tout au long de la semaine écoulée. Rien n'y a fait : ni le vote du plan Bush, ni les dispositions prises par l'Europe et par les États-Unis, ni les propos rassurants de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, ni l'appel de Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne («Reprenez vos esprits!»), ni la baisse concertée des taux d'intérêt dans le monde entier, ni la réunion du G7 à Washington : à raison d'une perte comprise entre 5 et 10 % par jour, il ne restera bientôt plus rien des marchés boursiers.
Un tel séisme aura des conséquences économiques qu'il est bien difficile de calculer aujourd'hui, mais qui correspondront, à n'en pas douter, à une récession susceptible de durer jusqu'à la fin de l'année prochaine. Ces conséquences concerneront en premier lieu les pays riches, coupables d'avoir enfanté le monstre ; mais ils n'épargneront pas non plus les pays pauvres ou émergents où la baisse des marchés a été pire et où les moyens d'absorber une pénurie supplémentaire sont nuls. On pense à l'Afrique, déjà si meurtrie, à l'Amérique latine et à ces pays d'Asie, comme l'Afghanistan, qui n'ont pas vraiment profité de la croissance de ces dernières années.
Des appels non entendus.
Interrogé jeudi par France 2, Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international, a exprimé sa volonté de mettre le FMI au service de la résolution de la crise. Ce volontarisme est nécessaire mais pas suffisant. M. Strauss-Kahn dit qu'il a eu l'occasion d'alerter les autorités internationales sur la crise du crédit qu'il voyait venir ; même si on veut bien le croire, le fait qu'il n'ait pas été entendu, ni lui, ni plusieurs économistes, y compris des prix Nobel comme Joseph Stiglitz, montre que le cri d'alarme ne suffisait pas, bien que l'on puisse tenir les autorités monétaires américaines pour responsables de n'avoir pas réagi assez tôt et de n'avoir écouté aucun des whistle-blowers (ceux qui ont sifflé), alors que la dette privée et publique des États-Unis parvenait à un sommet incroyable.
Il y aura fatalement, dans les mois qui viennent, un immense règlement de comptes : entre les opinions publiques et leurs gouvernements, entre les classes moyenne et pauvre et la classe élevée, entre les quidams et les sorciers de la finance. Et il aura fallu un tremblement de terre dévastateur en Amérique pour que le peuple, enfin, renonce au bushisme et à tout ce qui lui ressemble, donc, probablement, au candidat républicain.
En même temps, le futur président des États-Unis, qu'il soit républicain ou démocrate, aura une tâche singulièrement compliquée par les répercussions de la crise : quel que soit le programme qu'il aura préparé, il va se retrouver dans une situation d'urgence, exceptionnelle : son talent se situera moins dans sa vision politique que dans sa capacité à soigner le corps malade de l'économie. Si Barack Obama l'emporte, les idées qu'il a exposées tout au long de la campagne passeront au second plan ; il devra d'abord jongler avec des chiffres ahurissants, avec une baisse tragique de l'économie, avec un chômage en hausse et des faillites individuelles et d'entreprises.
PLUS QUE JAMAIS, L'EUROPE DOIT SERVIR DE CONTREPOIDS A L'AMERIQUE
Mais au moins pourra-t-il faire table rase du néoconservatisme de George Bush, dont l'échec est assez grave pour que les Américains, y compris les conservateurs, ne veuillent plus en entendre parler. Comment le bien-être de tous a pu être mis en danger par la mégalomanie de quelques-uns, comment l'Amérique est devenue dépendante des réserves financières de la Chine et des pays pétroliers, comment s'est creusé l'écart entre riches et pauvres pendant les huit ans du mandat de M. Bush, comment des montagnes d'argent sont parties en fumée dans la guerre d'Irak, comment l'Amérique sort affaiblie sur les plans économique, diplomatique, moral et politique de ses deux mandats, les questions seront posées et aucune des réponses ne permettra au parti républicain de se relever.
Un nouveau New Deal ?
Comparaison, n'est-ce pas ?, n'est pas raison, mais le New Deal est né de la crise de 1929 et il a fallu des années d'efforts et une guerre mondiale pour que l'Amérique, sous la houlette de Roosevelt, retrouve sa stature de grande puissance. M. Obama, s'il est élu, aura donc à la fois une tâche presque impossible à accomplir, mais aussi une chance historique de peser sur le sort de son pays, sans doute en lui instillant une éthique qui le mettra à l'abri de ses propres excès. Il a cette chance et il est lui-même une chance pour les États-Unis.
Quant à l'Europe, comment nier qu'elle n'est pas encore assez unie, qu'elle a perdu des journées précieuses dans des bisbilles entre Allemands et Français, qu'elle a laissé l'Irlande prendre des mesures unilatérales susceptibles de déstabiliser les systèmes bancaires des autres États européens et que Nicolas Sarkozy a dû se battre littéralement pour obtenir des Européens un consensus minimal ? Pourtant, l'Union n'a été atteinte que par ricochet par la démence américaine, ce n'est pas elle qui a conçu les schémas mathématiques qui ont permis à la bulle du crédit de grossir jusqu'à exploser dans un immense fracas. Victime, elle a son mot à dire ; plus sage que les États-Unis, elle a des remèdes à proposer ; plus consciente du mal qui est fait aux pays pauvres, elle doit rappeler qu'il faut les secourir eux aussi. Dès lors, que dire, sinon qu'il faut plus d'intégration européenne, ce que nous n'avons cessé d'écrire dans ces colonnes, et ce qui est devenu entre-temps un besoin lancinant ? Nous avons une monnaie, des échanges, des projets intereuropéens ; il nous faut maintenant une autorité politique, comme nous avons une autorité financière et monétaire, la BCE, qui a finalement bien joué son rôle indépendant. Il nous faut prendre des décisions plus rapides. Il faut que les Américains sachent qu'ils ont affaire à une puissance économique égale ou supérieure à la leur. Nous tirerions le plus grand avantage d'une unité renforcée ; et les Américains en tireraient une leçon.
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