« J'ai décidé de prendre le problèmeà bras le corps et le plan que je (...) présente est un plan global pour toute la chaîne des urgences. » C'est « un plan d'une ambition jamais égalée ».
Jean-François Mattei se fait volontiers lyrique quand il s'agit de promouvoir son projet de rénovation des urgences. Un programme en forme de « réponse au drame de la canicule », « élaboré rapidement », le ministre de la Santé en convient, mais en rien bâclé puisque ce document s'appuie sur les travaux du groupe « urgences », en place à la DHOS (direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins) depuis près de trois ans.
Vont être débloqués 489 millions d'euros sur cinq ans, dont 150 millions dès 2004, soigneusement fléchés (voir tableau) vers les hôpitaux locaux, les SAMU et les SMUR, les personnels de remplacement, l'informatisation des services d'urgences... Cette manne va, entre autres, financer le renforcement des effectifs : 10 000 postes vont être créés d'ici à 2008. Et si le ministère reste flou, pour l'instant, sur leur répartition ( « 10 % de postes médicaux, indique la DHOS, et 40 % de postes d'infirmiers »), des chiffres officieux mais plus précis circulent (900 médecins, 3 700 infirmiers, 4 700 personnels divers - brancardiers, secrétaires...). La nouvelle enveloppe doit également permettre la création de 15 000 lits de soins de suite et de réadaptation médicalisés.
Difficile de ne pas en convenir, le plan « Urgences » de Jean-François Mattei a du souffle, de l'envergure. Les moyens correspondant à chaque mesure sont affichés ; les opérations commencent dès l'an prochain. Le ministre ne se contente pas de survoler son sujet. Ainsi qu'il l'affirme lui-même, il intervient partout : « Depuis l'amont, avec l'importance si essentielle de l'échelon de premier recours au soin ; ensuite, la place et le fonctionnement des urgences au sein de l'hôpital ; jusqu'à l'aval des urgences, à l'hôpital, dans les services de soins de suite et jusqu'au retour à domicile. »
Effectifs renforcés
En amont, les innovations du plan « Urgences » sont la professionnalisation des métiers de la régulation médicale, et notamment celui de permanencier. Les effectifs de ces mêmes permanenciers vont être renforcés (100 postes créés) ainsi que ceux des praticiens hospitaliers (20 postes supplémentaires) dans les SAMU. Du côté des SMUR, c'est le nombre d'infirmières qui va être revu à la hausse (600 postes en trois ans). Le ministère donne par ailleurs un coup de pouce de 88 millions d'euros au développement des hôpitaux locaux, par transformation de centres hospitaliers ou de maisons de retraite publiques.
Aux urgences proprement dites, la création de la spécialité de médecine d'urgence via un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) est confirmée. Vingt-sept millions d'euros vont financer le renforcement des équipes d'accueil des services d'urgences ; les équipes logistiques s'étoffent elles aussi et des crédits permettent de remplacer, si le besoin se fait sentir, les personnels absents. Des lits portes vont être installés là où ils font défaut.
Le ministre souhaite par ailleurs que les urgences deviennent « l'affaire de tout l'hôpital ». Dans ce but, il encourage les services les plus concernés, et notamment les services de médecine, à mettre en place des consultations non programmées. Il veut également que s'organisent des « pôles de médecine polyvalente ». Quatre millions d'euros sont destinés à l'installation d'un dispositif de veille sanitaire et un système d'information complet des urgences va être progressivement mis en place (coût de l'opération : trente millions d'euros).
Le ministre est enfin effectivement aux petits soins pour l'aval des urgences. Il organise les prises en charge en réseau de manière un peu autoritaire (un service d'urgences ne pourra être accrédité que s'il participe à un réseau regroupant l'hôpital, les libéraux, les établissements médico-sociaux). Dix millions d'euros vont être consacrés au développement des équipes mobiles gériatriques et, surtout, 15 000 lits de soins de suite médicalisés vont être créés. Pour atteindre 8 000 places d'ici à 2005, l'hospitalisation à domicile (HAD) va toucher une enveloppe de 66 millions d'euros.
Plus d'un milliard en tout
Décidément objet de toutes les attentions du ministre, les urgences sont donc dotées pour les cinq années à venir de plus de un milliard d'euros - dans le cadre d'Hôpital 2007, elles vont bénéficier de 674 millions d'euros d'investissement, permettant le financement de 194 chantiers. Ce n'est pas rien. A titre comparatif, la dotation encadrée de tout l'hôpital public en 2003 s'est élevée à quelque 47 milliards.
Les professionnels de l'urgences en particulier et de l'hôpital en général ne s'y trompent pas qui, dans l'ensemble, réservent plutôt un bon accueil à ce plan « Urgences ». Le SAMU de France le qualifie d' « équilibré » et trouve que la copie de Jean-François Mattei « couvre, d'une façon cohérente et efficace, l'ensemble des questions liées aux urgences ».
Pour leur propre domaine, les médecins des SAMU parlent d' « avancées majeures et très attendues » et citent les exemples de la reconnaissance du rôle des permanenciers, le renforcement des effectifs médicaux et la reconnaissance de la nécessité d'une régulation médicale unique centralisée associaux urgentistes et généralistes.
Un tiers de mesures annoncées par Jean-François Mattei rend le Dr François Aubart, président de la CMH (Coordination médicale hospitalière), « franchement content ». La naissance de la spécialité de médecine d'urgence, la création des 10 000 nouveaux postes, « l'accompagnement général des moyens, même s'ils ne sont sûrement pas toujours à la hauteur des besoins »... tout cela fait dire au président de la CMH que le plan du ministre est « assez complet, financé pour une fois ».
A la tête du SUH (Syndicat des urgences hospitalières), le Dr Dominique Sebbe trouve lui aussi qu'il y a des bonnes choses dans ce plan « Urgences » - dans cette case, il range la constitution des réseaux, le développement de l'HAD, la création de la spécialité... Cela ne l'empêche pas d'être critique sur un certain nombre de points.
En effet, le Dr Sebbe a fait les comptes : un millier de postes de médecins alors qu'il existe 675 services d'urgences en France, cela fait « moins d'1,5 poste par service » ; 100 permanenciers quand il y a 100 SAMU et alors que les appels urgents de la médecine libérale vont être traités par les mêmes standards que ceux des SAMU, ça ne fait pas beaucoup. Pas plus que ne font nombre les 20 nouveaux praticiens hospitaliers prévus pour les services mobiles. « Ce n'est pas très sérieux », commente le président du SUH qui partage avec le Dr Aubart un autre sujet d'inquiétude : celui des 15 000 futurs lits de soins de suite. « De quel chapeau ces lits vont-ils sortir, s'interroge le président de la CMH, et qui sont les soignants qui vont les accompagner ? »
Dominique Sebbe renchérit : « Ces lits vont-ils résulter de redéploiements, de transformations ? S'il s'agit, par exemple, de transformer des lits de chirurgie, nous y sommes formellement opposés. J'ajoute que pour faire fonctionner 15 000 lits, il faut au moins 1 000 médecins, 10 000 paramédicaux. Où sont-ils dans le plan ? »
Présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), le Dr Rachel Bocher se place, elle, sur un autre plan pour juger le plan « Urgences », et son point de vue est extrêmement critique. Elle se pose, tout d'abord, la question des moyens - « S'agit-il d'un effet d'annonce ? Ces mesures vont-elles être réellement affectées ? - et plonge dans le « désespoir » quand elle voit le ministère se livrer à un « saucissonnage » des problèmes de l'hôpital. « On en viendrait, ironise-t-elle, à souhaiter une catastrophe sanitaire pour la psychiatrie, une catastrophe pour l'anesthésie... Quel sens cela a-t-il dans une vision globale de l'hôpital ? Comment cela s'articule-t-il avec Hôpital 2007 ? » Provocatrice, Rachel Bocher se demande si le plan de Jean-François Mattei n'a pas qu'un seul but : « Faire taire Patrick Pelloux », le président de l'AMUHF (Association des médecins urgentistes hospitaliers de France) par qui le scandale de la canicule est arrivé. Si tel est le cas, le ministre a raté sa cible. Car le Dr Pelloux n'est pas convaincu par les promesses de son ministre de tutelle. « Nous sommes, dit-il, extrêmement méfiants (...). Ce n'est pas le premier plan. De nombreux rapports, de nombreuses mesures ont été annoncées au cours de ces dernières années, mais souvent les crédits sont détournés à d'autres fins. Donc nous attendons de voir. »
Le financement du plan urgences* (en millions d’euros) |
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Calendrier | Coût global | Coût 2004 | |
Développement des hôpitaux locaux | 2004-2007 | 88 | 9 |
Renforcement des permanciers auxiliaires de régulation | 2004 | 2 | 2 |
Renforcement des SAMU et SMUR | 2004-2006 | 29 | 19 |
Equipes d’organisation interne | 2004 | 27 | 18 |
Renforcement des capacités logistiques | 2004-2005 | 17 | 8 |
Zones de soins de courte durée | 2004-2005 | 48 | 24 |
Personnel de remplacement | 2004 | 28 | 14 |
Informatisation des urgences | 2004 | 4 | 4 |
Renforcement des compétences gériatriques | 2004-2008 | 50 | 10 |
Création de lits de soins de suite et de réadaptation | 2004-2008 | 130 | 26 |
Développement HAD | 2004-2005 | 66 | 16 |
Total | 489 | 150 | |
* Hors mesures financées dans le cadre du plan d’investissement Hôpital 2007. |
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