LE TEMPS DE LA MEDECINE
« Chaque aliment nous parle et ne parle qu'à nous », explique en préambule Jacques Puisais, fondateur avec le Pr Patrick Mac Leod de l'Institut du goût. « En 1971, j'ai animé la première classe d'éveil au goût à l'école Clocheville de Tours, parce que je me suis aperçu que les adultes ont du mal à s'exprimer sur l'émotionnel qui entoure l'acte de manger », poursuit-il.
Depuis, près de 100 000 enfants ont bénéficié de sa méthode et des générations de formateurs et d'animateurs ont pu découvrir ce que Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) énonçait déjà dans ces célèbres aphorismes de « la Physiologie du goût » : « La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile. »
C'est donc en 1999 que Patrick Mac Leod, directeur du Laboratoire de neurobiologie sensorielle de l'école pratique des hautes études (EPHE), et Jacques Puisais, nologue et directeur du laboratoire d'analyse de Tours, créent l'Institut du goût, organisme de formation et de recherche dont la vocation est de susciter et d'accompagner les actions éducatives liées au goût. Grâce à son propre laboratoire de recherche, l'institut participe aux avancées des sciences du goût et contribue à les diffuser à un large public par l'intermédiaire d'un partenariat avec le ministère de l'Education et d'une collaboration avec le parc du Futuroscope de Poitiers.
Que ce soit lors d'interventions dans les classes ou dans l'atelier du goût du Futuroscope, l'accent est mis sur le plaisir. « On apprend à goûter comme on apprend à danser ou à dessiner » , se plaît à dire Jacques Puisais. Car s'il existe une part d'inné qui explique les différences de sensibilités entre les individus, les goûts et les dégoûts dépendent entièrement des expériences alimentaires.
Une image sensorielle
En effet, chaque individu reçoit, à sa naissance, un équipement en récepteurs olfactifs et gustatifs qui lui est propre. Cet équipement sensoriel, déterminé génétiquement, permet de capter les odeurs et les goûts. C'est ainsi que 10 % d'entre nous ne sont pas « équipés » pour percevoir la complexité de l'odeur de la truffe ou que 20 % d'entre nous ne sont pas sensibles au goût du glutamate.
Cependant, le rapport avec l'aliment reste essentiel. « La majorité des gens avale sans goûter. Et lorsque vous avalez tout rond, c'est comme si vous tourniez les pages d'un livre sans les avoir lues », explique Jacques Puisais. Lorsque nous mangeons, nous transformons les propriétés physiques et chimiques du contenu de notre assiette en un ensemble d'activations cérébrales qui aboutissent à une représentation, une image sensorielle.
Cette image s'élabore comme une « composition » construite à partir d'un mécanisme associatif très puissant qui lie, de façon inconsciente, l'aliment au contexte, agréable ou désagréable, présent au moment de la dégustation. Elle persiste très longtemps et modèle nos préférences et nos aversions dès la naissance. L'acquis peut ainsi influencer l'inné. En éduquant le goût et en multipliant les expériences gustatives agréables, on permet à l'enfant d'élargir son répertoire alimentaire. Avec l'âge, des aliments amers initialement aversifs, comme l'endive et le café, peuvent être appréciés. Après une période de néophobie où l'enfant a tendance à n'accepter que des saveurs connues et rassurantes surviennent des phases de découvertes gustatives qu'il faut savoir encourager, éveiller plutôt que forcer.
Un monde de saveurs
La méthode Puisais, découpée en douze séances, tient compte de la subjectivité du goût et de son caractère multisensoriel : apprendre à voir, à toucher, à sentir, à écouter, puis à goûter et à intégrer tout cela dans une histoire particulière à chacun.
Avant de mettre un aliment en bouche, notre vue, notre odorat, notre toucher sont sollicités. Des informations nous parviennent sur sa couleur, sa forme, son aspect, son odeur, sa texture. Grâce à des expériences concrètes, les enfants apprennent à mettre des mots sur leurs sensations, à comprendre l'importance des attentes que suscitent les informations recueillies : « D'après sa couleur, je pensais que c'était un sirop de citron, témoigne un enfant, mais en le goûtant, je pense plutôt qu'il est à l'ananas. »
En bouche, on apprend à percevoir les arômes, les saveurs et la texture des aliments. Les arômes sont les molécules odorantes provenant des aliments dilacérés dans la bouche et qui diffusent, non par la voie directe (la narine) comme l'odeur mais par voie rétronasale, jusqu'à la muqueuse olfactive. La mastication, la salivation, la température de la bouche favorisent la diffusion des arômes. Les bourgeons du goût logés dans les papilles gustatives de la langue ouvrent au monde des saveurs, classiquement le salé, le sucré, l'acide et l'amer. Mais beaucoup d'autres saveurs existent dans un continuum gustatif qui nous fait passer d'une saveur à l'autre, mais que nous sommes incapables de traduire verbalement. « Il faudrait une nouvelle langue » pour exprimer cette série indéfinie de saveurs simples, disait déjà Brillat-Savarin. Les dents, les muscles, la peau et les muqueuses permettent également de « palper » les aliments, de percevoir très précisément leur texture : plus ou moins granuleuse, fibreuse, lisse, collante, élastique, visqueuse, fluide, molle ou ferme. Les sensations au niveau des structures permettent de définir l'astringent ou le piquant et les stimulations thermiques, le chaud et le froid.
Les ateliers sont aussi conçus pour les adultes. Tout comme les repas pédagogiques qui sont une mise en pratique ; cela a été expérimenté pendant les ateliers. Car, au bout du combat de Jacques Puisais, existe ce profond désir de redonner toute sa place au moment de partage des émotions que constitue l'acte de manger ensemble. L'art du goût ne se résume pas à ce qui plaît ou déplaît, mais représente « une certaine justesse à un moment donné », instant privilégié où l'on peut se « refaire ». Les banquets qu'il organise peuvent rassembler jusqu'à 200 convives. Ce sont, commente-t-il « un peu des pièces de théâtre où les acteurs dans l'assiette et dans les verres jouent, pour chaque convive une scène unique et particulière. Mais tous auront partagé le même moment de convivialité ». Communiquer avec soi-même et avec les autres, découvrir et respecter les différences, l'apprentissage du goût, pluriculturel et pluridisciplinaire (histoire, géographie, littérature, physiologie...) a décidément toutes les vertus.
« Le Goût et les cinq sens », coproduction Odile Jacob multimédia-Sceren (CNDP), 2002.
Institut du goût, BP 2000, 8613 Jaunay-Clan. Tél. 05.49.49.44.83.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature