L'AGRESSION dont a été victime dimanche soir Rudy Haddad, frappé à coup de barres de fer près du parc des Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris, doit-elle être interprétée comme la manifestation d'un regain d'antisémitisme en France ? À l'instar du nouveau grand rabbin de France, Gilles Bernheim, le nouveau président du Consistoire central, le Dr Joël Mergui, élu dimanche, répond catégoriquement par la négative. «Cependant, souligne-t-il, force est de constater que les marques d'antisémitisme n'ont pas disparu en France. S'agissant du déroulement exact des événements, il faut attendre que l'enquête livre tous les détails sur les événements, préconise-t-il prudemment, même si l'on sait déjà avec certitude que la victime était un jeune homme qui portait une kippa.»
La prudence du Dr Mergui n'exclut bien sûr pas la solidarité avec la victime, qu'il est allé visiter dès dimanche soir, sur son lit d'hôpital, avant de s'envoler pour Jérusalem et de dîner à la présidence de l'État hébreu, en compagnie du président Nicolas Sarkozy et de la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Occasion pour le nouveau responsable de la communauté juive française de décerner un satisfecit aux autorités qui veillent à la paix civile intercommunautaire.
Mais sans préjuger des conclusions de l'enquête de police judiciaire et de la qualification des faits, éventuellement aggravée par une dimension antisémite, le Dr Mergui juge «nécessaire» de lancer un double appel : «Aux pouvoirs publics, je demande que des mesures de police soient renforcées pour parer à toute nouvelle exaction. Le président de la République a rappelé à Jérusalem qu'il était déterminé à lutter contre l'antisémitisme; s'il a pris la mesure du problème, il doit mobiliser les moyens nécessaires pour le résoudre, rapidement et durablement.» L'autre appel lancé par le président du Consistoire est à destination de l'opinion publique : «Pour contrecarrer l'antisémitisme, il faut mobiliser la population par des mesures préventives et éducatives. L'agression dont un juif est victime doit être ressentie comme une menace pour tous, et pas seulement pour une communauté en particulier.»
Dans l'immédiat, le Dr Mergui, qui exerce comme dermatologue dans le 13e arrondissement de Paris et assure une consultation hospitalière au CHU de Bichat dans le 18e arrondissement de la capitale, préfère s'abstenir de commentaire sur la situation particulière du quartier des Buttes-Chaumont.
Qu'en pensent les généralistes du 19e ?
Le quartier est «très cosmopolite», souligne le Dr I. H., généraliste installée depuis 17 ans rue Petit, à proximité immédiate du lieu de l'agression dont fut victime Rudy Haddad. «Juifs, musulmans, catholiques, hindouistes, explique-t-elle, nous nous souhaitons tous nos diverses fêtes religieuses, dans le plus grand respect mutuel et la meilleure harmonie.»
Un témoignage que confirment la demi-douzaine d'omnipraticiens interrogés dans le quartier par « le Quotidien ». « Bien sûr, cette bonne entente n'empêche pas les querelles entre bandes et les rivalités de territoires qu'on voit partout, constate le Dr Denis Cohen. Là-dessus, le 19en'est pas pire que n'importe quel centre urbain.»
«Au contraire, estime le Dr Itro Cohen, installé ici depuis 30 ans, ma clientèle est composée à 80% de Maghrébins et je n'ai qu'à me louer des bonnes relations que j'entretiens avec mes patients.»
Également juif, le Dr Joseph Courland partage la même appréciation sur le «public mélangé et populaire» qui se presse dans sa salle d'attente depuis 1976. «Je fréquente régulièrement la synagogue, précise-t-il, mais j'ai toujours veillé à une stricte neutralité sur mon lieu d'exercice médical. Si je n'ai jamais été personnellement témoin d'acte antisémite ou raciste, je suis concerné comme tous mes confrères par les menaces de patients toxicomanes.» Que lui inspire l'agression dont a été victime Rudy Haddad ? «Les jeunes noirs qui semblent impliqués dans cette affaire diront sans doute qu'ils ont agi par antisionisme, contre la politique d'Israël dans les territoires. C'était l'argument également invoqué par la bande des barbares qui ont torturé à mort Ilan Halimi en février 2006. Mais les deux affaires ne sauraient être mises au même niveau, Ilan Halimi ayant été victime d'une opération mûrement préméditée et organisée. Mais entre l'antisémitisme et l'antisionisme, au fond, quelle différence?», demande le généraliste.
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