IL Y A TROIS ANS, plusieurs études scientifiques sérieuses ont prétendu montrer que les antidépresseurs étaient susceptibles d'augmenter le risque de suicide, en particulier chez les jeunes (les réanalyses récentes ont infirmé ces résultats). C'est un autre pavé qui tombe dans la mare maintenant, avec la publication d'une étude britannique, concluant, à peu de choses près, à l'inefficacité des antidépresseurs. Citons son premier auteur, un psychologue de l'université de Hull, le Pr Kirsch : «Etant donné ces résultats, il semble qu'il y ait peu de justification à la prescription de traitements antidépresseurs, hormis pour les personnes souffrant de très grave dépression, sauf si les traitements alternatifs n'ont pas permis d'amélioration.» En le lisant, on en vient à se demander pourquoi des médecins – dont certains semblent sensés – continuent de prescrire des molécules dangereuses et inefficaces… Sont-ils à ce point frappés de cécité scientifique ou de malhonnêteté intellectuelle ?
Revenons un instant aux résultats de l'étude. Les auteurs se sont fondés sur les données de l'autorité de régulation sanitaire américaine, la FDA, concernant quatre antidépresseurs de nouvelle génération (Prozac, Deroxat, Effexor, Norset). L'originalité de cette approche était de s'appuyer sur toutes les données, y compris les études négatives dans lesquelles l'antidépresseur ne se distinguait pas du placebo. Les études défavorables pour une molécule sont rarement publiées par le laboratoire qui cherche à la commercialiser…
Patients déprimés très hétérogènes.
Une méthode statistique sophistiquée permettait de regrouper toutes ces données dans une seule analyse globale, dite «métaanalyse». La contrepartie de cette approche globale est de mêler des populations de patients déprimés très hétérogènes quant à leur niveau de gravité.
Les résultats principaux montraient que le pourcentage des patients répondeurs aux antidépresseurs n'est réellement démontrable que dans les formes les plus caractérisées de dépression. Cette différence disparaissait dans les formes plus légères du trouble.
Le principe de l'étude n'est pas critiquable. Les résultats confirment une donnée ancienne : l'effet du placebo dans la dépression est élevé, d'autant que la dépression est légère. En revanche, les interprétations que les auteurs tirent de leurs résultats sont caricaturales : «La différence d'amélioration entre les patients prenant des placebos et ceux prenant des antidépresseurs n'est pas très importante. Cela signifie que les personnes souffrant de dépression peuvent aller mieux sans traitement chimique.»
D'une part, parce que cette étude ne compare pas antidépresseurs et autres interventions thérapeutiques – la psychothérapie, par exemple -, mais antidépresseurs et placebo. Le placebo a un effet puissant dans la dépression, c'est un fait incontestable, tout comme il diminue la douleur des patients atteints de maladie grave. En outre, plus la dépression est légère, plus l'effet placebo augmente : c'est un vrai problème méthodologique et éthique. Les essais cliniques réclamés par les autorités de régulation sanitaire en vue de l'obtention de l'AMM excluent de nombreux patients déprimés graves (patients déprimés et alcooliques, suicidaires, souffrant d'un trouble de la personnalité associée, etc.). De ce fait, cinq patients sur six des patients déprimés sévères que nous soulageons par la prescription d'antidépresseurs ne peuvent pas être inclus dans cette métaanalyse, dont les résultats ne peuvent pas être généralisés à l'ensemble des déprimés.
Postes de psychothérapeute.
Mais nous croyons que le fond du problème n'est pas véritablement là. Nous sommes heureux que le ministre britannique de la Santé, Alan Johnson, décide de créer 3 600 postes de psychothérapeute dédiés à la prise en charge psychothérapique des déprimés britanniques (budget annoncé : 225 millions d'euros).
Nous serions encore plus heureux que notre propre ministre de la Santé, Mme Roselyne Bachelot, s'inspire de la stratégie de nos voisins et rende possible en France une telle initiative (la prise en charge des patients déprimés associe à des moments divers, et toujours pour des indications précises, le travail des psychothérapeutes à celui des médecins prescripteurs).
Nous sommes consternés de constater qu'une nouvelle fois la promotion d'un projet de psychothérapie dont nous soutenons le principe et la nécessité soit couplée avec un exercice délétère de communication fondé sur la disqualification globale de l'action des antidépresseurs.
Les niveaux de preuve indiscutables.
Tous les prescripteurs correctement formés savent que les antidépresseurs ne sont pas supérieurs au placebo quand les dépressions sont sous le seuil (c'est-à-dire non caractérisées par un nombre suffisant de symptômes durables) ou quand elles sont d'intensité légère. Les autorités de santé européennes ont statué sur ces questions sans ambiguïté et les autorisations de mise sur le marché délivrées ces dernières années pour les antidépresseurs sont clairement délimitées dans leurs indications. Si des excès de prescription existent, si des médecins prescrivent hors AMM, le phénomène est sans rapport avec les niveaux de preuve indiscutables apportés par les études dans les dépressions d'intensité suffisante. Les laboratoires qui ont tenté de prouver l'action des antidépresseurs dans les troubles de la personnalité ou dans les dépressions légères ont tous échoué, les spécialistes le savent (le millepertuis fait exception à la règle, mais pose d'autres problèmes). En son temps, les laboratoires ne se sont pas vantés de leurs échecs, n'ont pas publié leurs études, ce que toute la communauté scientifique regrette. Le débat serait plus sain et laisserait moins d'espace à ce type de publication parfaitement tendancieuse.
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