Depuis plusieurs années, Bernard Kouchner a fait de la lutte contre la mauvaise utilisation des antibiotiques l'un de ses chevaux de bataille favoris. Le « plan national pour préserver l'efficacité des antibiotiques » qu'il a présenté hier constitue une étape importante dans cette mobilisation contre le mauvais usage de ces médicaments.
Le ministre délégué à la Santé situe cette croisade contre les prescriptions inutiles ou inadaptées d'antibiotiques sur le terrain de la santé publique et non en termes d'économies sur les dépenses de santé. C'est pour « lutter contre le phénomène de résistance aux antibiotiques qui, souvent, progresse plus vite que le développement de nouvelles classes d'antibiotiques » que Bernard Kouchner entend prendre des mesures contre les prescriptions « qui ne sont pas nécessaires ».
Son plan s'appuie sur le constat et les recommandations que lui ont transmis récemment les trois médecins qu'il avait chargés d'une mission sur ce sujet : les Drs Anne-Claude Crémieux (hôpital Bichat), Benoît Schlemmer (hôpital Saint-Louis) et Olivier Reveillaud (généraliste).
Le constat que dresse le ministre de la Santé est à ses yeux sans appel. « Avec cent millions de prescriptions d'antibiotiques chaque année, la France est au premier rang européen pour la consommation (de ce type de médicaments) en médecine de ville et à la deuxième place pour la consommation à l'hôpital », affirme-t-on au ministère de la Santé.
Cela ne serait pas un handicap en soi si, aux yeux des experts de ministère, ces prescriptions étaient toutes justifiées. Or c'est loin d'être le cas, selon les statistiques citées. En médecine de ville, 30 millions de prescriptions seraient inutiles (sur un total de 80 millions). Pour les seules angines, deux millions seulement de prescriptions seraient justifiées alors qu'il y en a 9 millions.
En milieu hospitalier, la situation n'est guère meilleure : « De 20 à 50 % des prescriptions d'antibiotiques (...) restent inappropriées » et « en antibioprophylaxie chirurgicale, la proportion de prescriptions inappropriées peut atteindre 90 %. »
Face à ce tableau, que certains jugeront sans doute un peu noirci, Bernard Kouchner a arrêté un plan quinquennal 2001-2005. Le dispositif retenu est un subtil cocktail mêlant l'information des patients et des médecins, la formation des professionnells, la création de structures ad hoc dans les hôpitaux, le développement de tests diagnostiques rapides.
Développer les strepto-tests
En ce qui concerne l'information générale des professionnels et des patients, le ministère a prévu une campagne reposant sur des spots TV « des émissions, des interviews et des articles », l'envoi à chaque médecin de documents sur la résistance aux antibiotiques, l'insertion de notices d'information supplémentaires dans les boîtes. Des documents spécifiques seront réalisés à destination des responsables de crèches, d'écoles, etc. Ces campagnes d'information seront financées par le fonds de promotion de l'information médicale, doté cette année de 130 millions et qui est en train de se mettre en place (voir page 5). Il s'agit, pour Bernard Kouchner, de bien faire comprendre à tous que « la prise d'antibiotiques n'est jamais anodine ».
En médecine de ville, selon le ministère, de nombreuses prescriptions, notamment pour les infections respiratoires, seraient injustifiées ; notamment parce que les médecins ont du mal à faire le diagnostic d'une infection virale, parce qu'ils craignent « des complications de certaines infections bactériennes » ou parce qu'ils sont tentés de céder à la pression des patients.
Le plan de Bernard Kouchner vise donc à « aider les professionnels » et, dans cette optique, le ministre délégué à la Santé prévoit de mettre à la disposition des médecins généralistes et des pédiatres les strepto-tests, tests de diagnostic rapide qui permettent de faire la différence entre une origine virale ou bactérienne et une angine. Une expérimentation de ces tests menée en Bourgogne, entre 1999 et 2001, à permis de former les médecins à cette technique de dépistage et de pratiquer plus de 3 800 tests.
Selon le ministère, ce système qu'il s'agit maintenant de généraliser progressivement, aurait permis de diminuer de « 50 % la prescription inadaptéed'antibiotiques ». Un budget de 30 à 50 millions de francs est prévu en 2002 pour financer la diffusion des strepto-tests et pour mener des campagnes d'informations sur cet outil.
Un problème de formation
A l'hôpital, Bernard Kouchner souhaite la création, dans chaque établissement, d'un comité des antibiotiques et la désignation d'un médecin référent en antibiothérapie, l'adoption de référentiels adaptés à chaque hôpital. Ces mesures seront prochainement détaillées dans une circulaire et 10 millions de francs (1,52 million d'euros) pourraient être consacrés dès l'an prochain à la mise en place de ces structures.
Pour améliorer la coopération entre médecins libéraux et milieu hospitalier en matière de bon usage des antibiotiques, le ministère souhaite créer dans certaines régions volontaires des « centres de conseils pour la prescription des antibiotiques en médecine de ville » qui associeront les unions régionales de médecins libéraux (URML) et les spécialistes en infectiologie.
Ces centres devront notamment faciliter l'accès des médecins libéraux aux conseils téléphoniques, élaborer des référentiels loco-régionaux, etc.
La formation des médecins à la prescription des antibiotiques sera par ailleurs renforcée par l'introduction d'un module « santé publique en impact de la prescription des antibiotiques » lors du premier cycle des études médicales. Les enseignements dans les deuxième et troisième cycles seront développés et des actions de formation continue sur ce thème sont prévus.
Bernard Kouchner entend mieux suivre l'évolution de la consommation d'antibiotiques et des résistances. Il s'agit de mieux coordonner les différentes sources d'information sur ce thème, de renforcer le programme de surveillance spécifique des bactéries multirésistantes,
d'accoître le rôle des centres nationaux de références, de créer, dès l'an prochain, un réseau sentinelle de 70 laboratoires d'analyses médicales qui devront surveiller l'évolution des résistances aux antibiotiques pour les infections alimentaires, les infections à pneumocoques et à méningocoques. Pour ces actions de surveillance des résistances un budget est prévu : 2,75 millions de francs (419,2 millions d'euros) en 2002, 3,3 millions en 2003 (503 millions d'euros).
Enfin, un comité de suivi national des actions entreprises en matière d'antibiorésistance, qui regroupera des représentants du ministère, des agences sanitaires, de la CNAM, ainsi que des experts, sera constitué dès cette année.
Des retombées économiques
Bernard Kouchner place son plan antibiotique sous le signe de la santé publique : éviter le développement des résistances aux antibiotiques (à l'heure actuelle, 50 % des pneumocoques sont résistants à la pénicilline et 20 % des staphylocoques sont résistants à la méticilline).
Mais la diminution des prescriptions d'antibiotiques aurait aussi un effet non négligeable sur les dépenses de médicaments remboursés par l'assurance-maladie. Selon les statistiques de l'étude Médicam du régime général d'assurance-maladie, les remboursements d'antibiotiques se sont élevés en 2000 à 4,7 milliards de francs, soit une hausse de 7,3 % par rapport à 1999 (ces chiffres qui excluent les autres régimes et les sections locales mutualistes représentent environ 70 % des remboursements totaux d'antibiotiques).
Aussi la CNAM suit-elle avec intérêt toute initiative en faveur du bon usage des antibiotiques et s'est-elle investie dans l'expérimentation du strepto-test en Bourgogne. L'utilisation de ce test s'est accompagnée d'une diminution notable des prescriptions d'antibiotiques pour les angines. La généralisation des tests de dépistage rapide se traduirait, selon la CNAM, par six à sept millions de moins de prescriptions d'antibiotiques (en évitant la prescription pour des angines d'origine virale). Même en tenant compte du prix de revient du test, l'économie s'élèverait à plusieurs centaines de millions de francs. Signalons cependant que, parmi les médecins bourguignons qui expérimentaient ce test, 32 % ont finalement renoncé à l'utiliser, essentiellement en raison du temps nécessaire à cet examen.
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