«AU COURS des vingt dernières années, l'accroissement des taux de guérison et donc de la survie des enfants ou adolescents atteints de cancer a été spectaculaire, mais des complications cardiaques retardées inattendues sont apparues dans les décennies suivantes.» (1) Ces complications peuvent être graves, à type d'insuffisance cardiaque congestive, de troubles du rythme et de la conduction, d'insuffisance coronaire par athérosclérose précoce et d'atteintes péricardiques. Les sujets les plus menacés sont ceux qui ont reçu une chimiothérapie par anthracyclines ou une irradiation partielle ou totale du coeur, ces deux traitements étant associés dans 30 % des cas, et leurs effets cardio-vasculaires délétères se potentialisant (2).
Des effets qui se potentialisent.
L'exposition du tissu cardiaque aux radiations ionisantes provoque un oedème aigu dose-dépendant, puis une fibrose interstitielle cicatricielle, responsable d'anomalies rythmiques et conductives et d'un trouble de la compliance ventriculaire. L'atteinte coronaire, quant à elle, s'apparente à un processus d'artériosclérose banal.
Sur le plan clinique, l'atteinte péricardique est la mieux connue et survient dans un délai moyen de sept ans, le risque de constriction étant de 6 à 20 %. Le risque relatif d'insuffisance coronaire est de 41 et la surmortalité atteint 6 % à vingt ans. Globalement, dans une étude portant sur des enfants traités pour maladie de Hodgkin, le risque actuariel de décès cardio-vasculaire à dix ans a été de 10 % et son risque relatif de 29,6 %. Les cardiomyopathies sont volontiers diastoliques en cas d'irradiation seule et les troubles du rythme et de la conduction sont fréquemment retardés ; il s'agit de blocs auriculo-ventriculaires complets ou non, d'une augmentation de l'espace QT ou d'une perte de la variabilité sinusale, source de tachycardie persistante et d'inadaptation à l'effort.
Concernant les anticancéreux, le mécanisme de la toxicité cardiaque dose-cumulée des anthracyclines, dont les mécanismes d'action sont multiples, peut être explorée de manière globale au moyen de plusieurs examens qui étudient la fonction pompe du coeur, son adaptation à l'effort ou sa régulation hormonale. Mais seule la biopsie endomyocardique permet une appréciation de l'étendue et de la gravité réelle de l'atteinte. Les signes histologiques apparaissent bien avant que le seuil clinique des 550 mg/m2 cumulés ne soit atteint.
Sur le plan clinique, la toxicité aiguë ou subaiguë des anthracyclines s'exprime pendant la perfusion et à son décours immédiat. Il s'agit de troubles du rythme et de la conduction, exceptionnellement d'un syndrome péricardite-myocardite et parfois d'une insuffisance coronaire ou d'une insuffisance cardiaque congestive, tous phénomènes souvent réversibles. Ces constatations sont plus fréquentes si le patient est plus âgé, son coeur lésé et la dose unitaire de 60 mg/m2 injectée rapidement, par comparaison avec un schéma hebdomadaire en trois injections.
La toxicité chronique, liée à la dose totale cumulée, est irréversible et plus fréquente après irradiation thoracique. Elle s'exprime le plus souvent sous la forme d'une insuffisance cardiaque congestive précoce, chez l'adulte comme chez l'enfant, fatale dans 60 % des cas. Contrairement à une idée reçue, cette toxicité est plus faible initialement chez l'enfant que chez l'adulte. Cette insuffisance cardiaque précoce, diagnostiquée le plus souvent dans l'année qui suit le traitement, est restrictive chez l'enfant, alors qu'elle est dilatée chez l'adulte. Mais elle s'aggrave au fil du temps. Il semble que la fragilité du sexe féminin soit liée à la dose de radiothérapie et surtout à la combinaison radiothérapie et anthracycline, plutôt qu'à la seule dose d'anthracycline reçue. Des troubles du rythme et de la conduction variés, un allongement fréquent de l'espace QT et une perte de la variabilité sinusale exposent au risque de mort subite. L'atteinte de la fonction diastolique ventriculaire gauche peut être détectée par l'échographie Doppler, qui met en évidence une anomalie du flux de remplissage mitral E/A très évocatrice. Le calcul de la contrainte télésystolique ventriculaire gauche permet de détecter une surcharge de travail ventriculaire qui précède la décompensation.
Des modalités de suivi au long cours non résolues.
Le traitement par inhibiteur de l'enzyme de conversion permettrait de diminuer la contrainte pariétale ventriculaire gauche, malheureusement sans effet bénéfique sur les performances à l'effort (3). Fait essentiel, ces anomalies cardiaques surviennent avec une fréquence sans tendance à l'apparition d'un plateau avec le temps écoulé depuis l'exposition au risque.
Aucune étude ne permet actuellement de juger de l'effet préventif à long terme de telle ou telle mesure, en dehors du remplacement des anthracyclines par d'autres agents actifs lorsque c'est possible.
La surveillance pendant la chimiothérapie est une affaire de compromis entre le risque tumoral, la sensibilité de la tumeur à d'autres drogues et le souci de ne pas aggraver une atteinte cardiaque préalablement détectée. Sa fréquence est classiquement fixée à un examen écho-Doppler tous les paliers de doses cumulées de 100 mg/m2 d'adriamycine, ou son équivalent pour d'autres anthracyclines. Au long cours, les modalités de la surveillance restent non résolues. Un écho-Doppler annuel s'impose pour détecter les patients à haut risque de décompensation et surtout en cas d'augmentation des besoins hémodynamiques comme la croissance ou la grossesse. Ces patients justifient pour certains une échographie d'effort et des dosages répétés de BNP et de troponine Ic. Le rythme de cette surveillance, maintenue à vie, doit être adapté à l'état des paramètres cardiaques. Elle s'impose avant tout projet de grossesse ou de pratique physique ou sportive intense.
D'après un entretien avec le Dr François Pein, Institut régional du cancer Nantes-Atlantique (CLCC) René-Gauducheau, Nantes.
(1) Pein F et coll. Toxicité cardiaque des traitements du cancer chez l'enfant et l'adolescent : physiopathologie, données cliniques et point de vue de l'oncopédiatre. Bull Cancer 2004;91:S185-91.
(2) Pein F et coll. Cardiac abnormalities 15 years and more after adriamycin therapy in 229 childhood survivors of a solid tumour at the Institut Gustave Roussy. Br J Cancer 2004;91:37-44.
(3) Silber JH et coll. Enalapril to prevent cardiac function decline in long-term survivors of pediatric cancer exposed to anthracyclines. J Clin Oncol 2004;22:820-8.
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