REFERENCE
Restriction énergétique
La dénutrition se définit ici comme une carence d'apport isolée, avec perte conjointe et « équilibrée » de masse maigre et de masse grasse, et augmentation relative des secteurs hydriques extra- et intracellulaires. L'évitement alimentaire porte prioritairement sur les graisses, puis, sur les sucres, tout en préservant un certain apport protidique.
En outre, une fois passée la phase « active » de chute pondérale initiale, les apports peuvent rester longtemps adaptés au poids réel du fait même du caractère très contrôlé de la maîtrise alimentaire. C'est ce qui explique, malgré des états de maigreur parfois impressionnants, la normalité longtemps maintenue du tonus, des « apparences » et des marqueurs protéiques et ioniques classiques de la dénutrition.
Une étonnante faculté d'adaptation, mais des limites
En réponse à la restriction énergétique imposée, à laquelle s'ajoute très souvent un surcroît de dépense musculaire, l'organisme de l'anorexique fait preuve d'une étonnante faculté d'adaptation. Plusieurs mécanismes sont en jeu dans cette physiologie de survie. Les premiers concernent les processus hormonaux : ils permettent le maintien de la néoglycogenèse, la mobilisation des graisses, la baisse des besoins caloriques, mais aussi l'inhibition de la croissance et l'évitement de la grossesse. Les autres mécanismes concernent divers pôles d'épargne de dépense énergétique (DE). Mais un tel système d'adaptation atteint toujours ses limites à plus ou moins longue échéance.
Les paradoxes de la renutrition
Dès le début d'une renutrition - que celle-ci soit spontanée ou assistée - et avant même que le poids commence à vraiment varier, les phénomènes adaptatifs qui avaient joué en faveur d'une économie d'énergie sont supprimés. En conséquence, le simple fait d'avoir des apports énergétiques et protéiques supérieurs aux besoins conduit à une augmentation de 15 à 20 % des différentes dépenses énergétiques : de repos, postprandiale et de thermorégulation. Ces divers phénomènes, ajoutés à la résistance psychologique compréhensible, pourraient théoriquement contrarier l'efficacité de la renutrition. En fait, ce sont beaucoup plus les dépenses liées à l'activité physique qui expliquent ces phénomènes de « résistance » à la reprise de poids.
Expansion du milieu hydrique
Il faut également tenir compte d'un autre paradoxe du début de la reprise de poids, qui concerne les aspects qualitatifs de celle-ci. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, les deux ou trois premiers kilos « pris » ne sont pas de la « masse tissulaire », mais essentiellement la traduction d'une expansion du milieu hydrique extracellulaire. Toujours est-il que le coût énergétique de la prise de poids dans l'anorexie mentale a pu être estimé à environ 8 000 kcal par kilo de poids corporel gagné. Toute la question est de savoir à partir de quand ces patients requièrent une pareille exigence de reprise pondérale « soutenue » et son corollaire obligé : l'hospitalisation.
L'hospitalisation
Elle est d'abord déterminée par le degré du retentissement physique de la conduite anorexique (amaigrissement et divers signes d'alarme pouvant l'accompagner). Plus que le critère de poids ou de corpulence, c'est la combinaison des signes de gravité, dans un contexte évolutif donné, qui doit guider la décision.
Il est essentiel que les objectifs et la durée de cette hospitalisation soient à la fois bien précisés et bien compris. Le projet thérapeutique est la réanimation nutritionnelle et évidemment pas le « traitement de l'anorexie ».
Un poids de sécurité
L'objectif à atteindre est un « poids de sécurité » compatible avec la poursuite des soins en ambulatoire, soit quelques kilos au-dessus du poids d'entrée.
Hormis les situations d'extrême urgence (cachexie majeure, défaillance polyviscérale...), une phase d'essai d'alimentation spontanée est initiée sur quelques jours. En cas d'échec ou d'aggravation, il faut recourir à une nutrition entérale temporaire (nutrition entérale continue - NEC - par nutripompe). Celle-ci doit obéir à un objectif pondéral précis et à un minimum de règles, dont la première est le maintien des repas standards à disposition. La nutrition parentérale n'a normalement pas place dans ces renutritions « assistées » : les risques iatrogènes sont réels sur de tels terrains et, surtout, le tube digestif est sain.
Syndrome de renutrition inappropriée
Il est fondamental de tenir compte du caractère chronique de la sous-nutrition et de relativiser la notion de résistance à la reprise de poids par « gaspillage » énergétique, corollaire de la renutrition. Le risque serait en effet de négliger d'agir sur les dépenses liées à l'activité physique, tout en justifiant un « forçage » alimentaire, en tout cas, une renutrition trop agressive, avec expansion trop rapide du secteur extracellulaire et induction d'anomalies hydroélectrolytiques. Ce tableau, connu sous le nom de syndrome de renutrition inappropriée (refeeding syndrome), peut conduire à l'insuffisance cardiaque congestive et aux troubles de la conscience.
Enfin, il ne faut jamais oublier que, paradoxalement, une adolescente anorexique est une patiente d'autant plus vulnérable que ses défenses lui sont « vitales ». Face à une telle disposition, une approche purement symptomatique ou comportementale ne pourra jamais prétendre résumer la « cure » de la maladie.
D'après la communication du Pr Patrick Alvin (service de médecine pour adolescents. Fédération de pédiatrie. CHU de Bicêtre), lors des 6es Rencontres de nutrition azuréennes (Villefranche-sur-Mer).
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