par les Dr Régis Fuzier* et Nathalie Bernard**
Dès lors, le nombre de publications sur le sujet n'a cessé de croître, rendant la question plus « scientifique ». De nombreux travaux ont tenté de trouver « LA » solution d'anesthésique local idéale, pour chaque indication. De multiples approches ont été décrites ou (re)découvertes. Il suffit de s'intéresser au nerf sciatique pour se rendre compte que plus de 15 approches sont actuellement détaillées dans la littérature (1). Il en est de même des 9 voies d'abord décrites pour le bloc infraclaviculaire (BIC), certainement l'un des plus à la mode ces deux dernières années par le nombre de publications, alors qu'il s'agit d'un bloc découvert au début du XXe siècle et réactualisé dans les années 1970. A cela s'ajoute le perpétuel débat, toujours d'actualité, concernant le nombre de nerfs à stimuler pour augmenter le taux de succès du BIC (de 1 à 4 selon les auteurs (2). Les indications d'ALR se sont également développées en dehors du bloc opératoire. Récemment il a été montré que ces techniques offraient de nombreux avantages en extrahospitalier, notamment dans la prise en charge de la douleur lors des fractures du fémur (3). Elles pouvaient également représenter jusqu'à 80 % des actes d'anesthésie dans un service d'urgence (4).
Mais les années 2002 et 2003 ont marqué un tournant dans l'approche scientifique de l'ALR. Comment le clinicien peut-il s'y retrouver ? L'abondance de la littérature et la publication d'effets secondaires ou d'accidents en rapport avec l'ALR sont probablement responsables en partie de cette prise de conscience. Les travaux les plus récents ont cherché à définir un cadre pratique de l'ALR permettant au clinicien de développer ses connaissances et ses compétences en ALR au quotidien, tout en restant dans les limites de sécurité acceptables. Plutôt que de s'obstiner à trouver « sa » voie, certains auteurs ont étudié les avantages des différentes approches déjà existantes afin d'essayer d'éclairer l'anesthésiste dans le choix de telles ou telles techniques. Ainsi, Cuvillon et coll. ont récemment montré l'intérêt de l'abord parasacré comme alternative à la classique approche de Winnie dans le repérage du nerf sciatique à la fesse (5). De la même façon, les indications du bloc lombaire par voie postérieure ont été revues à la baisse compte tenu de l'incidence des accidents graves rapportés par le groupe SOS ALR (6).
L'ALR a bénéficié de nombreux travaux récents visant à définir des règles de bonnes pratiques, aussi bien en Europe qu'outre-Atlantique. Une des problématiques les plus fréquentes est la réalisation de l'ALR dans un contexte de troubles de l'hémostase, aussi bien pour les ALR périphériques que périmédullaires. La Société française d'anesthésie-réanimation (SFAR) a défini des recommandations, ainsi que l'American Society of Regional Anesthesia (7).
De récentes publications ont montré l'inégalité des risques toxiques des anesthésiques locaux utilisés en pratique quotidienne. La lidocaïne ne doit plus être utilisée en rachi-anesthésie, en raison des risques neurologiques. Les mélanges d'anesthésiques locaux de courte et de longue durée d'action ne sont pas recommandés. Outre le bénéfice discutable d'un point de vue pharmacologique, la toxicité des deux produits serait additive. Enfin, la bupivacaïne semble plus cardiotoxique que la ropivacaïne, anesthésique local de longue durée d'action à privilégier à ce jour dans les blocs périnerveux (8, 9).
Un autre exemple illustrant bien ce tournant évoqué plus haut est représenté par les travaux récents sur les neurostimulateurs. S'il n'est plus question de remettre en cause la pratique de l'ALR périphérique avec neurostimulation, il est important de savoir que la multitude de neurostimulateurs disponibles sur le marché n'offre pas les mêmes performances. Ainsi, deux équipes ont récemment testé plusieurs neurostimulateurs et ont établi un classement (10, 11). Des critères précis ont ainsi pu être définis permettant au clinicien de choisir un outil performant, tout en limitant le risque de lésions nerveuses.
Finalement, un des travaux les plus importants pour l'ALR est venu en 2003 de la SFAR. En effet, en mars dernier, notre société savante présentait des recommandations pour la pratique clinique concernant « les blocs périphériques des membres chez l'adulte », organisées sous la présidence du Pr Jean-Jacques Eledjam (12). Ce document définit de manière claire les bases de la pratique de l'ALR périphérique, en tenant compte des données de la littérature et des avis des experts pour répondre aux 14 questions posées. Ce travail doit servir de support pour tout anesthésiste désirant développer dans son service ces techniques. Des recommandations pour la pratique clinique concernant les blocs périmédullaires sont en cours de rédaction.
Pourquoi un tel engouement pour ces techniques d'ALR ? En dehors de quelques indications précises, ce n'est pas au niveau de l'anesthésie que se trouve la réponse à cette question, mais plutôt au niveau de la qualité de l'analgésie. L'ALR ne doit pas remplacer l'anesthésie générale (AG). Ces techniques élargissent l'éventail des possibilités offertes à nos patients. Elles sont complémentaires et non antinomiques. Aucune étude n'a, à ce jour, montré un bénéfice en termes de mortalité de l'ALR par rapport à l'AG. L'étude de Rodgers, dont la conclusion allait dans le sens de l'ALR, présentait trop de critiques méthodologiques pour pouvoir être acceptée (13).
En revanche, dans le domaine de l'analgésie, il n'est plus question de remettre en cause le bien-fondé de l'ALR. Il suffit de regarder le pourcentage d'accouchements réalisés sous péridurale pour s'en convaincre ! Depuis plusieurs années, il a été prouvé que l'ALR était supérieure en termes d'analgésie au repos et à la mobilisation par rapport à la morphine intraveineuse ou par administration contrôlée par le patient en chirurgie orthopédique, thoracique ou abdominale majeure. De manière plus récente, l'ALR a fait son entrée dans le domaine de la réhabilitation. Des travaux sérieux ont mis en évidence un bénéfice en termes de gain de rééducation et même de durée d'hospitalisation dans le groupe de patients bénéficiant d'une ALR après chirurgie orthopédique (14, 15). Beaucoup de travaux sont en cours dans ce domaine.
Ainsi, les plus récents ont apporté une note scientifique à la pratique de ces techniques. Nous assistons depuis deux ans à un tournant avec comme priorité de définir un champ d'application ouvert au plus grand nombre, tout en restant dans les limites sécuritaires pour nos patients. Cependant, malgré tous les efforts en matière scientifique (anatomique, technique, pharmacodynamique, toxique, ...), il sera très difficile d'homogénéiser le niveau de la pratique de l'ALR. Et si l'ALR était en partie un art ?
*Département d'anesthésie-réanimation, CHU de Toulouse
**Département d'anesthésie-réanimation - CHU de Montpellier
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