par les Drs Bernard TISSOT et Olivier FOURCADE
Il peut s'agir d'une anesthésie pour une urgence cérébrale liée à une lésion avec effet de masse responsable d'une hypertension intracrânienne (HIC) d'aggravation rapide (hématome intracrânien, hémorragie méningée, hydrocéphalie aiguë, tumeur cérébrale avec signes d'engagement, abcès cérébral) ou encore d'une intervention non neurochirurgicale (traumatologie osseuse, chirurgie vasculaire, etc.) chez un polytraumatisé.
La prise en charge pluridisciplinaire de l'agressé cérébral passe par la prévention et le traitement précoce des lésions cérébrales secondaires provoquées par les facteurs d'agression cérébrale secondaire d'origine systémique (ACSOS) (1). Les facteurs prédictifs de décès les plus significatifs semblent être l'hypotension artérielle, l'hypoxémie, l'hypercapnie et l'anémie, même s'il est démontré qu'une hypertension artérielle ou une hypocapnie profonde peuvent être délétères pour un cerveau lésé. En conséquence, si l'anesthésie constitue un élément thérapeutique essentiel pour prévenir les ACSOS, elle doit respecter certaines règles pour ne pas en favoriser la survenue (2). Ainsi, il a été montré chez des patients traumatisés crâniens ayant une fracture du fémur que le risque d'hypotension était huit fois plus élevé lorsque l'intervention avait lieu dans les deux heures qui suivaient l'admission à l'hôpital qu'après un délai de vingt-quatre heures (3). Cela pourrait expliquer que, dans certains centres, une intervention orthopédique précoce soit un facteur de mauvais pronostic neurologique. Pour être schématique, toute lésion susceptible de favoriser la survenue de facteurs d'ACSOS doit être traitée en urgence, alors que toute thérapeutique n'ayant pas cet objectif et susceptible de faire survenir ces facteurs pourrait être différée.
Quelle induction
Une préoxygénation correcte est la règle. Une séquence d'induction rapide réduisant au minimum le risque d'inhalation doit être utilisée en raison de l'estomac plein. La présence d'une lésion associée du rachis cervical est fréquente chez le traumatisé crânien grave et impose une protection rachidienne limitant le mouvement (maximal en C5) lors de la laryngoscopie, et donc le risque d'aggravation d'une compression médullaire (4, 6). Une intubation oro-trachéale et une sonde oro-gastrique sont préférables si une fracture de la base du crâne est suspectée. La sonde trachéale sera fixée par des bandes adhésives plutôt que par des fixations autour du cou de façon à éviter une compression des veines jugulaires. L'anesthésique utilisée ne doit ni aggraver l'HIC ni augmenter la consommation cérébrale en oxygène (CMRO2) et doit conserver l'autorégulation du débit sanguin cérébral (DSC) (7, 8). Son effet antiépileptique apporte un bénéfice. Le protocole d'induction anesthésique actuellement préconisé utilise l'étomidate, qui diminue le DSC et la CMRO2 de manière similaire aux barbituriques, mais avec l'avantage d'un risque d'hypotension artérielle moindre, et le suxaméthonium, puisque c'est le seul curare à associer un faible délai d'action à une brève durée de curarisation (2, 9).
Entretien de l'anesthésie
L'anesthésie sera maintenue à l'aide d'un mélange d'oxygène et d'air. Le protoxyde d'azote est contre-indiqué : il entraîne une vasodilatation cérébrale et une augmentation de la PIC (10, 1). Tous les agents anesthésiques volatils sont vasodilatateurs cérébraux, certains sont proépileptogènes. Pour l'entretien de l'anesthésie, la perfusion d'un agent hypnotique est donc préférable. Les anesthésiques intraveineux diminuent en général le DSC et la CMRO2. Les benzodiazépines (midazolam) et le propofol possèdent toutes les qualités recherchées. Les morphinomimétiques (fentanyl, sufentanil, alfentanil, rémifentanil) sont tous utilisables, aucun d'entre eux n'ayant démontré sa supériorité (14, 16). Les curares non dépolarisants n'ont pas d'effet sur la PIC. La prévention systématique des crises d'épilepsie n'est pas indiquée, l'anesthésie participant à cette prévention.
Surveillance
Outre son retentissement cérébral, l'HIC provoque des modifications cardio-vasculaires, parfois très rapides, susceptibles d'aggraver les lésions cérébrales initiales (17). Ainsi, une surveillance invasive de la pression artérielle moyenne (PAM) est pratiquement toujours indiquée. L'insertion d'un capteur de pression intracrânienne (PIC) permet le calcul de la pression de perfusion cérébrale (PPC = PAM - PIC). La mesure du CO2 expiratoire (PETCO2) est largement utilisée pour évaluer la valeur de la PaCO2. La surveillance continue de la température centrale, de l'hémoglobin et de la glycémie est nécessaire pendant l'intervention. Les troubles de l'hémostase sont corrigés. Le monitorage en temps réel de la saturation en oxygène de la veine jugulaire (SvjO2) ou de la pression tissulaire en oxygène (PtiO2) ne sont pas indiqués en routine, mais peuvent être nécessaires dans le cadre du traitement médical spécifique de l'HIC. La mesure des vélocités artérielles cérébrales par doppler transcrânien pourrait permettre d'adapter la PAM (2,18).
Quelle pression artérielle ?
En peropératoire, la PPC doit être maintenue à 70 mmHg, ce qui impose fréquemment l'obtention d'une PAM comprise entre 90 et 110 mmHg (2, 19, 20). Le remplissage vasculaire, utilisant des solutés iso-osmolaires au plasma (NaCl 0,9 %, hydroxyéthylamidons) et l'utilisation de vasopresseurs sont souvent indispensables au rétablissement de variables hémodynamiques stables (2). La noradrénaline est la catécholamine de référence, mais son administration doit répondre à des règles strictes. Elle doit être injectée sans bolus et par voie veineuse centrale (2, 8, 21).
Réveil et postopératoire
Les patients comateux avant l'intervention (Glasgow 8) sont transférés en réanimation sous sédation. Chez les patients conscients avant l'intervention et en l'absence de complication peropératoire, un réveil au bloc opératoire peut être envisagé. En effet, la surveillance neurologique clinique représente le monitoring le plus fiable et le plus simple pour détecter précocement une complication neurochirurgicale postopératoire.
Au total, la prise en charge en urgence d'un patient qui présente une hypertension intracrânienne est loin d'être une situation exceptionnelle. L'objectif essentiel de l'anesthésie sera de prévenir par tous les moyens les élévations de PIC et d'assurer une stabilité hémodynamique et respiratoire. Il faut éviter la survenue de facteurs susceptibles de majorer l'ischémie cérébrale et d'aggraver les lésions neurologiques, afin d'améliorer le pronostic vital et fonctionnel de ces patients. Le maintien d'une oxygénation cérébrale adaptée à la consommation doit donc rester une préoccupation constante.
Service d'anesthésie-réanimation
hôpital Purpan, CHU Toulouse
(1) Moeschler O., Boulard G., Ravussin P. Concept d'agression cérébrale secondaire d'origine systémique (ACSOS).
Ann Fr Anesth Réanim1995; 14 : 114-121
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