P AR égard pour le fonctionnement d'une démocratie qui leur est chère, très peu de Français souhaitent clouer au pilori ceux de leurs hommes ou femmes politiques qui sont associés à un scandale. La plupart d'entre nous voudraient que les urnes suffisent à décider du sort des candidats, sans qu'une affaire nauséabonde n'empoisonne le climat politique.
Mais nous n'avons rien à craindre. La classe politique et les corps constitués s'y entendent à merveille pour noyer dans une argumentation compliquée et bientôt incompréhensible les faits, pourtant clairs, qui sont reprochés à tel ou tel élu.
Dans l'affaire des voyages de Jacques Chirac et de sa famille, un juge a d'abord dit que le président de la République pouvait être convoqué comme « témoin assisté », mais ultérieurement. On supposait alors que le sort du chef de l'Etat était scellé, mais on se trompait. Un autre juge a dit le contraire.
Une réforme, et vite
Bien entendu, la classe politique s'est emparée du scandale, mais à sa manière. L'opposition n'a pas trouvé mieux que de proposer le gel des fonds secrets, pourtant utilisés depuis un demi-siècle. Le Premier ministre refuse. Comment lui donner tort ? Le gel priverait d'une partie de leurs revenus des centaines de personnes qui font fonctionner le gouvernement. Toute mesure conservatoire est donc impossible. Ce qu'il faut, c'est une réforme profonde et rapide à la fois : l'intégration de toutes les primes dans le salaire et leur assujettissement à l'impôt ; le vote par le Parlement d'un budget de fonctionnement de l'Etat qui inclue les fonds dits secrets, lesquels, du même coup, deviendraient transparents.
Les juges ne sont pas d'accord sur la marche à suivre, la droite et la gauche se querellent sur les décisions à prendre. Résultat : M. Chirac, qu'il ait ou non des comptes à rendre à la justice, n'est déjà plus soupçonnable. Quoi qu'il ait fait, il n'a jamais fait que ce que font tous les ministres. Michel Rocard a reconnu que non seulement il distribuait des primes à ses collaborateurs sur les fonds secrets, mais qu'il avait financé des vacances sur son voilier avec les mêmes fonds. Comment dès lors accuser M. Chirac d'un délit qui n'était en réalité qu'une pratique bien républicaine et partagée par tout le personnel politique ?
Il demeure étrange que ce qui serait légal pour le gouvernement soit frauduleux pour les entreprises privées ; et que des primes non intégrées au salaire et donc échappant à l'impôt soient dûment payées par tous les contribuables. Il s'agit d'une évasion fiscale collective, et personne n'en est scandalisé !
Tactiquement, l'opposition a cependant été efficace. Elle a noyé le poisson : elle porte tout son effort sur le débat autour des fonds secrets. Mais M. Chirac n'a toujours pas dit avec clarté si l'argent liquide qu'il a versé pour ses voyages entre 1992 et 1995 provenait des fonds spéciaux ou de transactions encore plus secrètes et sans doute infiniment moins acceptables avec des sociétés privées auxquelles auraient été attribués quelques marchés de la ville de Paris. Les trois juges d'instruction qui enquêtent sur ces marchés n'ont jamais dit d'où venaient les 2 400 000 F que M. Chirac a dépensés ; ils n'ont jamais parlé de fonds secrets ou spéciaux ; ils se demandent si ces sommes ne proviennent pas de contrats que la loi interdit.
Qui reste-t-il, en France, pour remettre le débat sur ses rails, pour aller au fond des choses, pour mettre de l'ordre dans cette confusion, pour en finir avec les dérives du personnel politique ? Peut-on compter sur la justice pour émettre un message clair et irréfutable ? Il y a la presse, qui elle-même n'est pas exempte de ses excès. Mais elle peut exiger que la vérité soit dite.
L'obéissance au chef
Il est regrettable qu'il faille chercher un tiers pour mener à bien l'assainissement des murs politiques : on ne voit pas pourquoi des membres du RPR, et même les plus connus d'entre eux, n'exigeraient pas du chef de l'Etat qu'il s'explique une bonne fois pour toutes et sans s'abriter derrière sa fonction. On ne voit pas pourquoi des socialistes n'exigeraient pas du Premier ministre qu'il fournisse les raisons de ses inutiles mensonges sur son passé trotskiste.
L'appartenance à un parti, la loyauté due au supérieur ne doivent pas constituer un obstacle à la vérité. Car on sait où conduit l'obéissance aveugle au chef. Ce qui doit importer à un militant, ce n'est pas qu'il serve sa cause à tout prix, c'est qu'il se conduise en toute ciconstance de manière irréprochable. Combien sont-ils, à droite ou à gauche, à donner cet exemple ? Si, comme nous, les électeurs, ils voulaient que tout aille bien jusqu'au jour du scrutin, ils auraient dû commencer par réclamer l'élimination de pratiques qui ne font pas honneur au pays.
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