Amibiase extradigestive

Publié le 19/05/2003
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REFERENCE

MECANISME

Les manifestations extradigestives de l'amibiase sont la conséquence, à partir des lésions coliques, de l'embolisation d'amibes par voie portale (amibiase hépatique), d'une atteinte par contiguïté (amibiase pleuro-pulmonaire, péricardique et cutanée) ou par voie hématogène (amibiase cérébrale). Quelle que soit la topographie lésionnelle extradigestive, la localisation colique reste en effet une étape obligatoire et souvent passée inaperçue de la maladie. Cette diffusion extradigestive est secondaire à un pouvoir nécrosant induit par de nombreuses enzymes protéolytiques, sécrétées tant par Entamoeba histolytica histolytica que par les polynucléaires lysés par celle-ci.

AMIBIASE HEPATIQUE

Migrant et voyageur

L'amibiase hépatique (AH) est la localisation extracolique la plus fréquente de l'amibiase invasive et, malgré un diagnostic facile et un traitement bien codifié, reste une cause importante de morbidité et de mortalité dans les pays d'endémie. Elle complique en effet entre 5 et 15 % des infections coliques et rend compte de 0,5 à 2 % des hospitalisations, avec une létalité pouvant atteindre 10 à 20 % en cas de traitement tardif. Dans nos régions, l'AH est une pathologie d'importation rencontrée chez le migrant et le voyageur. L'AH autochtone est rare, la contamination se produisant au contact d'un sujet ayant séjourné en zone d'endémie.

Couleur chocolat

Les collections hépatiques, le plus souvent uniques, prédominent dans le lobe droit et varient de quelques millimètres à une vingtaine de centimètres. La cavité, emplie d'un liquide d'aspect variable, initialement épais et brunâtre « chocolat », puis devenant plus fluide et plus clair avec l'évolution, est limitée par une mince bande de collagène qui s'épaissit progressivement pour réaliser une coque fibreuse. Les amibes n'y sont observées qu'en périphérie des lésions.

Hépatomégalie douloureuse et fébrile

La classique hépatomégalie douloureuse et fébrile (triade de Fontan) demeure la forme aiguë typique la plus fréquente. La douleur, brutale ou progressive sur plusieurs jours, est habituellement localisée dans l'hypochondre droit et irradie vers l'épaule, avec inhibition respiratoire. La fièvre, volontiers supérieure à 39 °C, continue ou rémittente, ne s'accompagne pas de sueurs. L'hépatomégalie, inconstante, peut être régulière ou bosselée et se révèle surtout sensible à la palpation. L'état général, habituellement conservé au début, se dégrade assez rapidement en l'absence de traitement précoce. De discrets signes respiratoires associés à une diminution du murmure vésiculaire dans la base droite sont possibles, même en l'absence de complication pleuro-pulmonaire avérée.

Formes trompeuses

Les autres formes cliniques sont nombreuses et trompeuses : formes fébriles pures (de 3 à 4 %) devant faire systématiquement évoquer le diagnostic d'AH chez tout sujet fébrile au retour de zone d'endémie ; formes atténuées, souvent observées lors de prise concomitante de chloroquine dotée d'une activité amooebicide ; formes ictériques par compression biliaire, rares en Europe, mais de pronostic plus péjoratif ; formes chroniques pseudonéoplasiques ; formes suraiguës, exceptionnelles, et survenant volontiers sur un terrain débilité, chez l'enfant ou chez la femme enceinte, en association à une colite amibienne aiguë grave. Citons également des compressions vasculaires intrahépatiques à l'origine de thrombose portale et de syndrome de Budd-Chiari.

Eléments du diagnostic

L'anamnèse, particulièrement importante en zone non endémique, l'imagerie, qui prouve la localisation extracolique, et la sérologie, qui en démontre l'origine amibienne, orientent le diagnostic. Ces complications, dont le début remonte avant même le départ de la région où s'est produit la contamination dans la moitié des cas, se révèlent, dans l'autre moitié, dans les six mois qui suivent le retour, même si des cas plus tardifs ont été rapportés. L'atteinte colique simultanée est rare et l'examen parasitologique des selles n'est positif que dans 5 % des cas environ.
La biologie non spécifique montre dans 90 % des cas une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, l'absence d'éosinophilie et un syndrome inflammatoire marqué. Les tests hépatiques, souvent normaux dans l'AH, peuvent montrer une élévation modérée des enzymes de cholestase et parfois une cytolyse.
L'imagerie, et tout particulièrement l'échographie hépatique, permet d'orienter le diagnostic de façon décisive, même si les aspects réalisés n'ont rien de spécifique. Les principales images traduisent l'évolution de la phase présuppurative à la phase collectée et sont de trois types : hypoéchogène (paroi fine, sans renforcement postérieur), liquidienne pure (anéchogène, sans paroi nette, avec renforcement postérieur) (figure 6), mixte (échos internes non homogènes). Deux signes indirects méritent d'être recherchés à un stade très précoce où l'aspect du foie peut être normal : discret œdème de la tête du pancréas et épaississement de la paroi vésiculaire. La tomodensitométrie, utile en cas de complication évolutive, montre une cavité à contenu hypodense limitée par une paroi d'épaisseur variable (figure 7), se rehaussant après injection de produit de contraste et parfois entourée d'un halo d'œdème. En imagerie par résonance magnétique, la zone centrale apparaît en hyposignal en pondération T1 et en hypersignal en pondération T2, l'œdème péri-lésionnel étant nettement visible. Les principaux diagnostics différentiels sont l'abcès à pyogènes, les tumeurs nécrosées, certaines métastases anéchogènes, les hématomes et les kystes. Seul le contexte permet donc d'évoquer l'amibiase devant de telles images.
La ponction de la cavité à visée diagnostique est rarement nécessaire et doit toujours être précédée d'un traitement amœbicide par imidazolés afin d'éviter une dissémination sur le trajet de ponction. Le liquide de la nécrose hépatique est aseptique et ne contient pas d'amibe, celle-ci ne pouvant être mise en évidence que sur des biopsies des berges des lésions. L'infection bactérienne de la cavité amibienne est quant à elle exceptionnelle et complique habituellement une ponction.
La sérologie, positive, en règle, très précocement, emporte le diagnostic et repose sur différentes techniques (immunofluorescence indirecte [IFI], hémagglutination indirecte [HAI], ELISA). Il est utile d'associer deux techniques et de les répéter une semaine plus tard en cas de négativité initiale. La spécificité et la sensibilité sont excellentes, avec notamment une très bonne valeur prédictive négative après une semaine d'évolution. Le titre des anticorps après traitement décroît progressivement, pour s'annuler en six à douze mois. L'HAI, qui peut rester positive pendant plusieurs années, ne peut servir à la surveillance sérologique post-thérapeutique, à la différence de l'IFI. En cas d'atypie, on peut être amené à discuter un kyste hydatique surinfecté ou un carcinome hépatocellulaire, d'autant que celui-ci peut mimer une forme pseudo-suppurative (5 % des cas) et s'associer à une sérologie amibienne fortement positive. A l'inverse, l'AH peut évoluer sur un mode subaigu trompeur et entraîner une élévation de l'alpha-fœtoprotéine (toujours inférieure à 600 ng/ml). Dans tous les cas, le doute ne doit pas différer le traitement, dont l'efficacité rapide suffit souvent à confirmer le diagnostic. La précision des caractères anatomiques de l'AH et le terrain conditionnent la tactique thérapeutique.

AUTRES COMPLICATIONS EXTRACOLIQUES

La base droite

Complications habituelles de l'AH par extension aux organes et aux structures de voisinage, l'amibiase pleuro-pulmonaire (APP) et l'amibiase péricardique (AP) sont rarement observées sous nos climats (15 % en zone d'endémie) et traduisent souvent un retard thérapeutique. Fréquemment surinfectée, l'APP siège naturellement préférentiellement à la base droite (90 %) où elle réalise différents tableaux radiocliniques : pneumopathie plus ou moins systématisée, abcès pulmonaire (figure 8), pleurésie sérofibrineuse ou purulente, parfois compliquée d'un pyopneumothorax par fistule bronchopleurale, fistule hépatobronchique responsable de la classique vomique brutale de pus chocolat. L'évolution peut se faire vers des bronchectasies et une symphyse pleurale étendue.

Péricarde

L'AP (1 %) complique habituellement un abcès du lobe gauche hépatique et se traduit soit dans sa forme la plus grave par une tamponnade aiguë imposant un drainage péricardique en urgence, soit par une péricardite purulente d'évolution parfois constrictive.
D'autres localisations extracoliques sont plus exceptionnelles et compliquent habituellement une amibiase viscérale : atteinte péritonéale (ascite, syndrome occlusif, péritonite asthénique), amibiase cutanée simulant un ulcère phagédénique (figure 9), amibiase encéphalique (abcès du cerveau), amibiase splénique et génito-urinaire.
Dans ces autres localisations extracoliques, le recours à la ponction d'un épanchement pleural ou péricardique est souvent requis dans un dessein diagnostique et/ou thérapeutique, curatif ou symptomatique, après une évaluation morphologique (radiographie et tomodensitométrie thoraciques, échographie cardiaque). En cas de suspicion d'amibiase cutanée, c'est la biopsie des berges qui montrera la présence de nombreuses amibes hématophages.

Dr Philippe REY*, Pr Francis KLOTZ** * Spécialiste des hôpitaux, HIA Legouest, Metz Armées ** Professeur, chaire de médecine tropicale, EASSA-Val-de-Grâce, Paris

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7337