Amiante : l'Amérique insolvable ?

Publié le 11/11/2002
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Il y a cinq ans, la Cour suprême avait émis un jugement en vertu duquel les cheminots n'avaient pas le droit de réclamer à leurs employeurs des indemnités au titre de la « détresse émotionnelle » causée par leur exposition à l'amiante au cours de leur carrière professionnelle.

En fait, a jugé la Cour en 1997, tant qu'ils ne sont pas malades, les cheminots ne toucheront rien. Mais les entrepeneurs américains de toutes sortes, des chemins de fer au bâtiment, sont assaillis par 600 000 procès liés à l'amiante. Et des centaines de milliers d'autres peuvent encore être intentés. L'indemnisation de toutes les personnes malades de l'amiante, parfois de simples locataires d'appartements construits avec de l'amiante, pourrait coûter 200 milliards de dollars (autant d'euros) à l'économie américaine. Cependant, l'asbestose peut aussi évoluer en cancer pulmonaire. On peut donc craindre que les indemnités pour abestose ne soient ultérieurement complétées par des indemnités pour cancer. Un bon exemple du problème est fourni par la Norfolk Southern Corporation qui a été condamnée à verser 5,8 millions de dollars à six employés atteints d'asbestose. La Norfolk a fait appel de ce jugement ; son avocat, Phillips Carter, estime que, dans la décision rendue par la Cour suprême en 1997, elle reconnaît qu'il y a une crise financière causée par l'indemnisation de l'asbestose, « et cette crise, ajoute Me Carter, n'a jamais été aussi aiguë qu'aujourd'hui ».
La juridiction suprême a évité récemment de s'impliquer dans un procès géant qui opposait 800 personnes à leurs 250 employeurs. Un règlement à l'amiable entre les deux parties a mis fin aux démarches judiciaires. Ce genre de solution out of court (en dehors de la justice) est toujours d'ordre financier, ce qui montre que les sociétés peuvent souvent payer au moins une partie des dommages-intérêts qui leur sont réclamés. La méthode est utile dans la mesure où la propension des juges américains à accorder aux victimes des indemnités tellement énormes qu'elles mettent en péril l'industrie et ses emplois n'a pas de bornes. Le montant absurde des indemnisations empêche d'autres victimes d'obtenir des dommages et intérêts et si la disparition des fabricants de cigarettes peut être acceptable (même si elle met à la rue des dizaines de milliers de salariés), il n'est pas pensable que le secteur du bâtiment, par exemple, soit ruiné.
L'annulation par la justice de centaines de milliers de litiges sur l'amiante risque en revanche de priver des victimes d'une indemnisation raisonnable. C'est pourquoi la voie législative, qui conduirait à des indemnités plafonnées, est meilleure que la voie de la Cour suprême, à laquelle les entreprises demandent en fait de débouter les victimes.

De notre correspondant Laurent SILBERT

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7216