« Alors docteur, et ma cognition ? », se prend à rêver le Pr Jacques Touchon, neurologue. Pourquoi les patients, qui sont de mieux en mieux informés et formés, posent-ils des questions sur leur tension, leur taux de cholestérol mais pas sur l'état de leurs facultés cognitives ? Parce que les maladies regroupées sous l'appellation de « démence » font peur. Pourtant, insiste le Pr Bruno Vellas, gériatre, « chaque généraliste croise chaque année le chemin de trois ou quatre malades diagnostiqués Alzheimer, qu'il devra suivre en moyenne pendant huit ans ».
La maladie d'Alzheimer touche aujourd'hui de 300 000 à 450 000 personnes en France. Elle conduit à la perte d'autonomie et à une atteinte profonde de la dignité qui bouleversent la vie du patient mais aussi celle de son entourage. Alors, savoir, ne pas savoir, reculer l'échéance ? Le diagnostic précoce est une chance, répondent d'une seule voix les invités. Les traitements, avec la galantamine notamment, permettent de retarder l'apparition des troubles psycho-comportementaux, donc dans certains cas d'organiser l'avenir et, quoi qu'il en soit, de s'y préparer.
Le manque d'outils
Assurer le diagnostic précoce devient une priorité, car un trop grand nombre de malades ne sont pas soignés. « Si le dépistage n'est pas du tout à l'ordre du jour, affirme le professeur de santé publique Isabelle Durand-Zaleski, le diagnostic précoce, en revanche, est centré sur un individu qui vient avec sa plainte, celle de la perte de mémoire ou de troubles du comportement, qu'il faut rapidement diagnostiquer et prendre en charge. »<\!p>Le diagnostic précoce a en plus un impact économique car il retarde l'institutionnalisation.
Le problème du diagnostic précoce reste aujourd'hui le manque d'outils. Si gériatres et neurologues se penchent sur le sujet et possèdent des tests, le généraliste est démuni. Il l'est aussi devant le fait que le patient doit souvent attendre six à douze mois avant d'obtenir une consultation en service spécialisé. La réponse viendra, on le souhaite, du Plan démence lancé par le gouvernement et qui insiste sur le diagnostic, l'annonce et la prise en charge de la maladie, la formation et le développement des réseaux. « Il faut des moyens financiers et davantage de psychoneurologues et d'orthophonistes qui pratiqueraient un plus grand nombre de tests, ainsi qu'une augmentation de "la productivité" des professionnels », insiste le Pr Françoise Forette, gériatre.
Elle conseille vivement aux médecins généralistes, qui s'interrogent sur le cas de tel ou tel patient, de pratiquer quelques tests. Les cinq mots à mémoriser, le test de fluence verbale, celui de l'horloge et l'évaluation de l'état d'anxiété du patient sont des indicateurs de diagnostic utiles. La mise en relation avec un neurologue du privé, qui peut pratiquer des tests plus approfondis dans un délai plus court, est aussi une réponse. « La mise en place de réseaux et le premier travail de proximité entre médecins généralistes et centres de mémoire qui confirment ou non le diagnostic représentent encore une autre proposition », confirme le Pr Bruno Dubois, neurologue.
Et l'éthique dans tout cela ? Prudent, Emmanuel Hirsch, spécialiste de ces questions, avance les effets favorables d'une meilleure formation, le développement de l'aide aux familles, le travail sur les outils d'évaluation et le développement de la recherche. « Le diagnostic précoce doit se faire si l'environnement s'y prête. C'est une question de bonnes pratiques. Si la personne consent à l'annonce, la démarche devient alors éthique, car il s'agit maintenant d'accompagner le patient »,<\!p>dit-il, convaincu que chaque cas doit être analysé de manière personnelle dans une écoute du malade et de la famille.
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