On pense de plus en plus que l'événement clé dans la pathogenèse de la maladie d'Alzheimer est le dérèglement de la production, l'agrégation et le dépôt de peptide amyloïde Aß, un fragment protéolytique de 40 à 42 résidus, dérivé de la protéine bêta amyloïde (APP).
L'isoforme la plus longue, l'Aß42, est augmentée de façon sélective avec toutes les mutations analysées des présénilines et avec la plupart des mutations de l'APP qui provoquent une maladie d'Alzheimer familiale à début précoce. De plus, l'Aß42 est le premier à se déposer dans le cerveau. Tout cela fait que l'Aß42 est considéré comme le coupable numéro 1 dans la pathogenèse de la maladie d'Alzheimer.
La présence, dans les plaques amyloïdes cérébrales, d'astrocytes et de cellules de la microglie, ainsi que de certaines protéines de l'inflammation ont suggéré que l'inflammation contribue à la maladie d'Alzheimer. Ce qui « colle » bien avec les résultats d'études épidémiologiques rétrospectives, selon lesquelles les patients prenant certains AINS ont un moindre risque de développer un Alzheimer. Il n'était pas saugrenu de croire à un potentiel thérapeutique des anti-inflammatoires dans une maladie à composante inflammatoire. Mais voilà : comme le montre une nouvelle étude publiée aujourd'hui dans « Nature », l'effet de certains anti-inflammatoires dans l'Alzheimer ne serait pas de nature... anti-inflammatoire.
Ce nouveau travail, conduit par des Américains (Sascha Weggen et coll.) a comporté deux volets. D'abord, sur une variété de cultures cellulaires, les auteurs montrent que trois AINS (ibuprofène, indométhacine et sulindac sulphide) réduisent la production de l'Aß42, parfois jusqu'à 80 %. Cet effet, qui n'est pas observé avec tous les AINS, ne semble pas lié à une inhibition de la cyclooxygénase (COX), principale cible des AINS. Deuxième volet de l'étude : l'administration à court terme d'ibuprofène à des souris produisant une APP mutante décroît les taux cérébraux d'Aß42.
Dans les cellules en culture, la baisse de la sécrétion d'Aß42 s'accompagnait d'une augmentation de l'isoforme Aß (1-38), suggérant que les AINS provoquent de subtiles modifications de l'activité de la gamma sécrétase. « Nos résultats suggèrent que les AINS agissent directement sur la pathogénie amyloïde cérébrale en réduisant les taux de peptide Aß42 indépendamment de l'activité COX. »
Pas d'action sur la COX, mais sur la gamme sécrétase
La gamma sécrétase, précisent deux éditorialistes (Bart de Strooper et Gerhard König) est un complexe multiprotéique qui clive l'APP en différents endroits dans son domaine transmembranaire, ce qui explique pourquoi des peptides Aß de différentes tailles sont générés.
Chez les patients qui ont une forme héréditaire d'Alzheimer, des mutations du gène de l'APP ou des gènes des présénilines sont souvent présentes ; ces mutations peuvent provoquer des zones de clivages préférentielles dans l'APP. Cela accroît la production du peptide Aß42 par rapport au peptide Aß40, discrètement plus court. Un subtil changement du rapport entre ß42 et ß40 est considéré comme la « racine » de l'Alzheimer, car Aß42 précipite plus et plus vite que Aß40. « Il est donc plausible que les médicaments qui réduisent les taux d'Aß42 puissent se montrer utiles pour traiter la maladie d'Alzheimer », estiment les éditorialistes. Toutefois, des inhibiteurs de la gammasécrétase récemment décrits abaissent la production de tous les peptides Aß et, ce qui est plus problématique, le clivage de Notch. « Les nouveaux résultats suggèrent que le AINS pourraient contrôler la gammasécrétase pour qu'elle bloque la production d'Aß42 seulement », indiquent les éditorialistes, qui soulignent que les médicaments testés dans la présente étude n'interfèrent pas avec Notch.
« Ces résultats expliquent pourquoi différents médicaments anti-inflammatoires ont des effets différents sur la maladie d'Alzheimer (...) Dans un petit essai prospectif, l'indométacine a réduit le déclin cognitif observé dans la maladie d'Alzheimer. Mais des essais cliniques utilisant d'autres classes d'anti-inflammatoires, comme l'hydroxychloroquine ou la prednisone, n'ont pas apporté de bénéfice clair. De même, le plus connu des AINS - l'aspirine - a eu un effet non convaincant dans des études épidémiologiques. » D'où une question intrigante : « Si l'inflammation est impliquée dans la progression de la maladie d'Alzheimer, pourquoi un anti-inflammatoire serait-il bénéfique et un autre non ? Les résultats de Weggen et coll. apportent une réponse : nous devons prendre en compte l'effet des médicaments sur le production d'Aß42. Ce n'est sûrement pas une coïncidence si les effets cliniques positifs ont été observés principalement avec les AINS qui sont connus pour bloquer la production d'Aß42. L'aspirine, par exemple, ne touche pas ce processus. »
« D'un point de vue fondamental et pratique, nous devons maintenant comprendre le mécanisme qui sous-tend les observations de Weggen et coll. Les activités anti-inflammatoires, antalgiques et antipyrétiques des AINS résultent principalement de l'inhibition des cyclooxygénases 1 et 2. Mais Weggen et coll. n'ont pas retrouvé de corrélation entre cette inhibition et la baisse de production d'Aß42, ce qui suggère que la baisse d'activité d'Aß42 ne dépend pas de COX. On se demande si cette activité provient d'une modification conformationnelle, induite par les AINS, du complexe gammasécrétase. On a maintenant besoin d'analogues spécifiques et puissants de ces médicaments, pour comprendre pourquoi certains AINS modulent l'activité de la gammasécrétase et d'autres non. »
Des essais ont attendus
« Mais, poursuivent les éditorialistes, nous ne devons pas attendre cette nouvelle génération de produits avant que les patients puissent en bénéficier. Des chercheurs ont déjà une expérience des AINS et les concentrations efficaces sur les cultures cellulaires et la souris sont déjà utilisées pour traiter des maladies inflammatoires en clinique. Nous pouvons au moins espérer que les chercheurs vont bientôt tester les effets de ces médicaments sur la maladie d'Alzheimer dans des essais cliniques », concluent les éditorialistes.
« Nature » du 8 novembre 2001, pp. 212-216 et 159-160.
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