L'hypothèse d'une participation hormonale à la physiopathologie de la maladie d'Alzheimer n'est pas nouvelle. L'affection est environ deux fois plus fréquente chez les femmes, et l'écart d'espérance de vie avec les hommes n'explique pas tout. La disparition brutale des estrogènes à la ménopause, par opposition au déclin progressif des androgènes, a été proposée comme explication. Un essai clinique a même été mené : l'absence d'effet bénéfique des estrogènes dans les formes moyennes à modérées de la maladie oblige toutefois à rechercher une autre explication. A défaut d'effet protecteur abrégé des estrogènes, on peut envisager un effet protecteur prolongé des androgènes. Contrairement aux estrogènes, toutefois, les androgènes n'ont jamais fait l'objet d'un essai dans l'Alzheimer. A priori, l'hypothèse « androgènes » ne manque pourtant pas d'arguments : les androgènes ont un effet neuroprotecteur ; des concentrations sériques inférieures à la normale ont été constatées chez les hommes atteints d'Alzheimer ; enfin, les androgènes inhibent certaines réponses au stress, quand il apparaît de plus en plus vraisemblable que des stimuli stressants participent de l'étiologie de la maladie. A cette liste, l'étude américaine publiée dans les « Proceedings » ajoute un argument supplémentaire : la testostérone semble inhiber l'hyperphosphorylation de la protéine Tau, constatée après un choc thermique, que l'on peut considérer comme un stress.
L'hyperphosphorylation de Tau est une composante de la physiopathologie de la maladie.
La protéine Tau
A côté des plaques amyloïdes, on observe en effet des neurofibrilles, majoritairement constitués de protéines Tau, assemblées, justement, à la faveur d'un processus complexe de déphosphorylation/rephosphorylation. Le mécanisme enzymatique à l'origine du processus est mal connu. Les auteurs ont pourtant déjà apporté quelques éléments. Ils ont ainsi montré chez le rat, premièrement, qu'un choc thermique induit une hyperphosphorylation de Tau comparable à celle que l'on observe dans les neurofilaments ; deuxièmement, que cette hyperphosphorylation est empêchée par les androgènes ; enfin, que, parmi six kinases testées, trois pouvaient être impliquées dans le processus : la glycogène kinase synthase-3 bêta (GSK-3 bêta), la cycline-dépendante kinase 5 (Cdk5) et la c-Jun NH2-terminal kinase. C'est la GSK-3 bêta que les derniers résultats mettent plus précisément en cause.
Les travaux ont été menés sur des rates ovariectomisées, traitées quotidiennement durant quatre à six semaines par 250 microg de testostérone en S.C. ou 10 microg de 17 bêta-estradiol, la combinaison des deux hormones, ou encore une solution contrôle ; puis soumises à un choc thermique (42 °C durant quinze minutes). Les analyses ont été effectuées entre trois et six heures plus tard, au niveau du cortex frontal des animaux sacrifiés.
Les résultats indiquent que seule la testostérone, ou l'association des deux hormones, prévient l'hyperphosphorylation de la protéine Tau. Les tests d'activité in vitro des trois enzymes sur la protéine Tau bovine et la protéine Tau 40 humaine montrent, en outre, que seule la GSK-3 bêta est inhibée - plus exactement que son hyperactivation par le choc thermique est empêchée. Les auteurs en concluent que la testostérone a empêché l'hyperactivation de la GSK-3 bêta et l'hyperphosphorylation résultante de Tau.
Le mécanisme reste à expliquer. Les auteurs inclinent cependant en faveur d'un effet transcriptionnel, médié par le récepteur aux androgènes, présent dans le cerveau des animaux femelles aussi bien que mâles. Ils notent également, avec le 17 bêta-estradiol, une stimulation de l'activité Cdk5 vis-à-vis des protéines Tau bovine et humaine, et suggèrent qu'un effet délétère des estrogènes vis-à-vis de l'Alzheimer mériterait d'être envisagé.
Prévention ou traitement
D'une manière générale, l'ensemble des résultats demeure fragile, le modèle utilisé, l'hyperphosphorylation de la protéine Tau induite par choc thermique, paraissant éloigné de l'Alzheimer. On doit cependant souligner que l'argumentation physiopathologique est bien construite. Les auteurs avancent que « la testostérone, donnée seule aux hommes âgés et associée au 17 bêta-estradiol pour les femmes ménopausées, se révélerait probablement bénéfique en prévention et/ou en traitement de la maladie d'Alzheimer ». L'hypothèse est audacieuse. Mais il n'y a pas de raison de se priver d'essayer. D'autant qu'un autre facteur, non évoqué par les auteurs, mérite d'être pris en considération : la prolifération des polluants estrogène-like dans l'environnement. Si l'hypothèse des auteurs est exacte, ces polluants pourraient avoir bien des effets délétères, hormis ceux que l'on soupçonne déjà sur la fécondité masculine.
S. Ch. Papasozomenos et A. Shanavas, « Proc Natl Acad Sci USA ».
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