Certaines bactéries, comme Escherichia coli, les salmonelles et d'autres, produisent des fibres extracellulaires, extrêmement agrégées, qui sont appelées curli (« curly » veut dire en anglais « frisé »).
Ces fibres curli permettent aux bactéries de coloniser les surfaces inertes et de se regrouper en une communauté appelée biofilm (alors plus résistante aux antibiotiques et aux défenses immunitaires de l'organisme).
Une équipe dirigée par Scott Hultgren, professeur de microbiologie moléculaire à la Washington University School of Medicine à Saint Louis, a examiné de plus près les curli d' E. coli, sous différents angles - biochimique, biophysique, et par visualisation. La conclusion de leur analyse est une révélation : les curli sont en fait des fibres d'amyloïde.
C'est la première fois que des fibres amyloïdes sont trouvées produites par des bactéries. Jusqu'ici, on pensait en effet que l'amyloïde n'était fabriquée que par des cellules d'organismes supérieurs, et leur présence était considérée comme une erreur ; erreur d'une voie de pliage des protéines. A l'opposé, E. coli possède une machinerie spécifique pour assembler les fibres amyloïdes.
Une machine à produire de l'amyloïde
« C'est le premier exemple d'une machinerie moléculaire consacrée à la production d'amyloïde, et cela montre, par conséquent, que la production d'amyloïde n'est pas toujours une erreur », explique le Pr Hultgren dans un communiqué. « Cette découverte nous donne un puissant système génétique pour étudier les détails moléculaires de la formation d'amyloïde et pourrait nous permettre de commencer à développer des médicaments qui bloqueront la formation de l'amyloïde, ou traiteront ou préviendront les maladies amyloïdes humaines », ajoute-t-il.
La production de curli par E. coli met en jeu deux principales protéines, CsgA et CsgB. La protéine A est libérée par la bactérie sous une forme soluble dans le liquide extracellulaire. La protéine B est présente dans la membrane de la bactérie, exposée vers l'extérieur. Chaque protéine B agit comme un noyau qui déclenche la précipitation des protéines A solubles, lesquelles s'alignent en fibres curli, chacune des fibres étant attachée à une protéine B. Le processus de polymérisation est aussi facilité par deux autres protéines « chaperons », CsgE et CsgF.
Dans les maladies amyloïdes humaines, on pense aussi que les protéines amyloïdes solubles subissent un changement de forme et s'agrègent en fibres. « La question est de savoir ce qui entraîne la protéine soluble à se convertir en fibres amyloïdes dans la maladie humaine. Nous pouvons maintenant étudier ce mécanisme chez E. coli », explique le Pr Hultgren.
Les bactéries jouent-elles un rôle ?
Cette découverte soulève aussi une question fascinante, celle de savoir si certaines bactéries productrices d'amyloïde ne pourraient pas jouer un rôle dans des maladies neurodégénératives liées à l'amyloïde. Ces bactéries pourraient intervenir de deux façons, suggère le Dr Chapman, autre membre de l'équipe. « Les bactéries pourraient directement contribuer à la formation de la plaque à travers l'amyloïde qu'elles produisent. Ou elles pourraient y contribuer indirectement en déclenchant la précipitation des protéines précurseurs d'amyloïde déjà présentes dans l'organisme ».
Selon un commentateur extérieur, le Pr Paul Berg de l'université de Stanford (lauréat du prix Nobel de chimie en 1980), « cette découverte fournit un bon point de vue supplémentaire à partir duquel on peut évaluer le rôle de la production et de l'accumulation d'amyloïde dans la maladie d'Alzheimer et d'autres neuropathologies apparentées. Avec un peu de chance, ce modèle révélera des indices pour prévenir la formation dévastatrice des plaques d'amyloïde, caractéristiques protéines de ces maladies ».
« Science » du 1er fevrier 2002, p. 851.
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