« C ETTE année, l'Alsace sera en tête de cortège, alors nous avons fait imprimer des T-shirts aux couleurs de notre association, que tout le monde verra pendant le défilé », explique le Dr Patrice Loeb, généraliste à Illkirch-Graffenstaden, ville de 26 000 habitants où il sera très difficile de trouver un médecin le 12 juin : 25 des 26 généralistes de la ville seront en grève ou à Paris ce jour-là, au même titre que 19 spécialistes sur 30, tous les kinés et plus du tiers des dentistes.
Issu de l'Association des médecins d'Illkirch-Graffenstaden, qui s'était déjà distinguée en organisant, lors des grèves précédentes, des rencontres « café-croissant » avec les habitants sur une place de la ville, le tout jeune mouvement « Prosanté Illkirch » réunit cette fois la quasi-totalité des professionnels de santé libéraux d'Illkirch, pour une « réflexion globale et des actions communes » face aux problèmes de santé. « Les choses avanceront si nous nous regroupons : nous nous connaissons tous, et c'est pour ça que nous sommes si nombreux à nous mobiliser pour aller manifester », se félicite le Dr Loeb, en regrettant que les professionnels des communes voisines de la grande couronne strasbourgeoise n'arrivent pas encore, eux, à se fédérer de la même manière.
Certes, la forte mobilisation des professionnels d'Illkirch ne saurait illustrer à elle seule la motivation de toute la région, qui apparaît d'ailleurs beaucoup plus forte dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin. Le CDPS du Bas-Rhin a affrété plusieurs wagons spéciaux qui s'ajouteront au Strasbourg-Paris de 7 h 53, et enregistré plus de 200 inscrits, sans compter les manifestants qui se rendront dans la capitale par leurs propres moyens, en avion ou en voiture. Les professionnels de santé du Haut-Rhin prendront eux aussi le train depuis Mulhouse, mais le Dr Pierre Schlegel (CSMF 68) compte sur un nombre beaucoup plus faible de participants : « Tous les médecins protestent contre la situation actuelle mais, quand on leur propose une action, ils n'y participent pas », regrette-t-il en rappelant tout de même que « Mulhouse-Paris, ça fait une heure de plus que Strasbourg-Paris et ça oblige vraiment à se lever très tôt ». « Je culpabilise un peu parce que je n'irai pas à Paris », avoue une généraliste strasbourgeoise, « mais passer une journée à voyager et à marcher, c'est franchement trop éprouvant : en revanche, je fermerai mon cabinet en signe de solidarité ». De toute manière, dit-elle, « je crois qu'il sera difficile de trouver, à Strasbourg comme ailleurs, un seul médecin qui ne soit pas entièrement d'accord avec les motifs de cette manifestation ».
Au-delà du ras-le-bol global exprimé par de nombreux médecins, « l'effondrement des revenus » constitue pour beaucoup d'entre eux le premier motif d'insatisfaction, comme l'observe le Dr Jean-Claude Haderer, généraliste à Barr, qui défilera mardi à Paris, et qui compare la non-revalorisation du C depuis 1998 et du V depuis 1993 à la progression régulière de ses frais et charges. « On en a franchement marre, explique-t-il, on travaille seuls, avec des coûts croissants, les pouvoirs publics nous culpabilisent et les gens réclament le tiers payant », dénonce ce praticien qui constate, comme plusieurs de ses confrères, « que de plus en plus de médecins souhaiteraient arrêter ce métier s'ils en avaient la possibilité ».
Bien moins que les grands discours de politique générale, c'est « l'accumulation de l'exaspération » qui motive désormais les médecins, et l'introduction des 35 heures ne fait qu'exacerber leur mauvaise humeur : « Non seulement on n'en profite pas, s'insurge le Dr Loeb , mais en plus c'est nous qui les finançons, directement si on a du personnel et indirectement par la ponction sur l'excédent de la Sécu. »
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