« L'ARRIVEE éventuelle de médecins venus des 10 nouveaux Etats membres de l'Union européenne pourrait contribuer à soulager la démographie médicale en Europe occidentale, mais sont-ils aussi bien formés que les Français, les Allemands ou les Italiens ? »
Pour le Dr Francis Fellinger, président de la CME de l'hôpital de Haguenau et de la Conférence nationale des CME, la question est d'autant plus lancinante que beaucoup de médecins se sentent « mal informés » sur l'élargissement de l'Europe. « Nous en parlons beaucoup entre nous, mais nous avons l'impression de manquer de visibilité sur ce sujet », poursuit-il. Selon lui, si la venue de médecins de l'Est est souhaitable dans certaines disciplines, il ne faudrait pas qu'elle entraîne un exode massif de praticiens hors de leur pays d'origine : « La Pologne a beaucoup de médecins, mais, s'ils partent tous, ce sont les Polonais qui en feront les frais », souligne-t-il.
Positif et négatif.
Il avoue s'interroger sur le niveau de formation de certains médecins, en particulier ceux formés avant 1989, c'est-à-dire à l'époque communiste, et qui pourraient être tentés de s'installer ailleurs. « Certains diplômes étaient décernés en fonction de critères politiques, mais quelle est la valeur réelle d'une telle qualification pour un chirurgien, dont les compétences manuelles me semblent plus importantes que la formation théorique ? », se demande le Dr Fellinger. « Nous sommes donc très partagés, conclut-il, il y a des aspects positifs et des aspects négatifs, et il faudra sans doute bien encadrer ce mouvement. »
Cardiologue libéral et président de l'Ordre départemental du Bas-Rhin, le Dr Patrick Lachmann estime avant tout que les médecins de l'Est ne doivent pas être « utilisés » pour cacher le vrai problème de la médecine française, le numerus clausus :« Il serait choquant de faire venir des médecins étrangers tout en empêchant les jeunes Français d'étudier la médecine », rappelle-t-il. Il souhaite que les problèmes de démographie soient réglés d'abord au niveau français. Mais, de toute manière, poursuit-il, il ne faut pas s'attendre à une arrivée massive de médecins étrangers en France : la « libre circulation » de médecins, effective depuis longtemps en Europe, n'a jamais été très importante, pas même en Alsace, pourtant région frontalière. En dehors de quelques rares médecins libéraux allemands, la quasi-totalité des médecins étrangers exerce, pour un temps déterminé, dans les hôpitaux de la région. D'ailleurs, ce sont les Roumains, dont le pays n'est pas concerné par l'élargissement, qui sont les plus nombreux, surtout à Strasbourg et Mulhouse. Enfin, rappelle-t-il, il reste la barrière de la langue, les procédures d'autorisation et les contrôles de compétences : « Certains médecins s'inquiètent, observe-t-il, mais je ne crois pas que le phénomène prenne beaucoup d'ampleur : il ne faut pas fantasmer sur un afflux massif de confrères étrangers. »
Les soins aux patients.
Psychiatre libéral très actif au sein des organismes européens de médecins, le Dr Harald Sontag souhaite lui aussi dissiper les « fantasmes » d'une vaste immigration médicale, mais s'inquiète surtout des « problèmes de fond » que posera l'élargissement. « Ces médecins gagnent 400 ou 500 euros par mois. Ils exercent dans des systèmes totalement différents des nôtres et l'exercice parallèle au noir reste très répandu », rappelle-t-il, en s'inquiétant des différences de formation, en particulier dans sa discipline. Pour lui, l'immigration en provenance de l'Est restera modeste en France : c'est l'Allemagne, l'Autriche et la Suède qui, en tant que pays limitrophes, accueilleront le plus de médecins issus des nouveaux Etats membres. « Nous autres médecins, nous n'avons de toute façon rien à craindre, explique-t-il, mais nous devons nous poser des questions par rapport à nos malades : seront-ils tous aussi bien soignés qu'ils le sont aujourd'hui ?»
Le Dr Ludmilla Kalinkova s'interroge sur le niveau actuel de formation des médecins de l'Est, mais souligne qu'ils sauront très vite se mettre à niveau. « C'est le communisme qui a tué la médecine dans ces pays, rappelle cette dermatologue libérale d'origine bulgare, alors que, avant 1945, il n'y avait pas de différence entre l'Ouest et l'Est ». Au-delà de la formation, le Dr Kalinkova redoute que beaucoup de médecins « de l'Est » continuent à voir dans l'Europe occidentale un Eldorado trop prometteur : « Ils sont trop nombreux chez eux, et sont persuadés que tout va bien ici : attention aux désillusions, mais aussi aux conséquences démographiques et professionnelles que pourraient avoir des départs massifs de médecins en direction de l'Europe occidentale ! », conclut-elle.
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