Le Pr Francisque Leynadier a rappelé que le personnel soignant (chirurgiens, réanimateurs, infirmiers, dentistes) est le plus touché, certaines enquêtes faisant état de 20 % de sujets allergiques aux protéines du latex (PLN). Certes, la plupart des enquêtes portant sur ce sujet sont rétrospectives, reconnaît le Pr Leynadier, mais, a contrario, on peut penser que cette pathologie est à une fréquence sous-estimée dans la mesure où nombre de soignants présentant ce type d'allergies ne consulte pas par peur du reclassement ou même d'une perte d'emploi.
Les soignants ne sont pas les seuls menacés puisque les enfants devant subir des interventions chirurgicales multiples, souvent pour malformations congénitales, sont très souvent sensibilisés (plus de 50 % au-delà de trois opérations).
Prévention : efficace, même au plan économique
D'une façon générale, on peut penser que tous les sujets ayant subi plusieurs interventions courent les mêmes dangers, ce qui fait que la recherche d'une allergie au latex devrait être quasi systématique dans le cadre d'un bilan préanesthésique, surtout si le patient a été multiopéré.
Par ailleurs, poursuit le Pr Leynadier, plusieurs études ont bien montré l'efficacité de l'éviction ou même de la réduction de l'exposition aux PLN en prévention primaire comme en prévention secondaire. Démonstration faite chez des anesthésistes allergiques au latex, chez des médecins et des paramédicaux et en particulier des dentistes : on observe une diminution significative du taux d'IgE spécifiques. Des auteurs belges ont même montré que l'on pouvait réduire significativement le score de gravité et l'hyperréactivité bronchique de patients présentant un asthme professionnel. Cette étude montre aussi que la réduction importante mais non totale de l'exposition aux PLN plus facile à réaliser qu'une éviction, donne déjà des résultats significatifs.
Au plan économique, plusieurs enquêtes nord-américaines ont montré que le coût engendré par le passage aux gants non poudrés ou sans latex était plus que largement compensé par les économies réalisées en termes de conséquences médico-sociales. Toutefois, le Pr Leynadier reconnaît que cette approche globale ne peut être transposée que dans la mesure où il y a une responsabilité des établissements de soins par rapport au coût engendré par les pathologies professionnelles, ce qui n'est pas le cas en France.
Les raisons du blocage
L'ensemble des pharmaciens hospitaliers présents admet que les données présentées par le Pr Leynadier sont irréfutables mais qu'en tant qu'acheteurs, les pharmaciens hospitaliers se trouvent confrontés à un problème économique quasiment insurmontable : le passage aux gants non poudrés augmenterait le budget gants au mieux de 30 à 40 %, au pire de près de 80 %, selon l'estimation faite par M. Burton (CHU de Rennes). Tous disent que l'administration hospitalière n'est pas prête à une telle majoration de coût et ils demandent donc une diminution des prix actuels (ce qui pose un autre problème, car dans les pays où ce type de gants est généralisé... ils coûtent de trois à dix fois plus chers qu'en France).
En fait, le problème économique n'est pas le seul à prendre en compte puisque les pharmaciens hospitaliers font état des réticences de nombreux chirurgiens très attachés à leurs gants en latex poudré.
Cependant, il apparaît que les jeunes chirurgiens, les anesthésistes-réanimateurs et, plus spécifiquement, les chirurgiens pédiatriques sont plus motivés par la prévention de l'allergie au latex. Dans certains cas, le manque cruel de panseuses peut motiver l'équipe chirurgicale comme à l'hôpital Saint-Louis de Paris, quand plusieurs de leurs auxiliaires sont confrontés à ce problème.
Problème économique, réticence des soignants et sous-notification des cas concourent au maintien de la suprématie des gants en latex poudrés.
Si les participants n'imaginent pas une mutation brutale, plusieurs expériences locales montrent que l'on peut progresser en favorisant l'information du personnel hospitalier après mobilisation de tous les acteurs concernés : médecine du travail, service d'hygiène, CLIN, comités des dispositifs médicaux ; sans parler du rôle d'aiguillon des syndicats de personnels quand ceux-ci décident de s'impliquer.
Informer, donc, mais aussi proposer des solutions progressives. A ce titre, tous les pharmaciens hospitaliers insistent sur la nécessité de rationaliser l'utilisation des gants de soins et d'examen ; les gants en vinyle sont souvent sous-utilisés alors qu'ils suffisent, à condition d'être de bonne qualité, dans tous les cas où il n'y a pas à se protéger du sang et des produits biologiques. Les économies réalisées sur ce plan peuvent être utilisées pour l'achat de gants non poudrés, dans des indications mieux définies.
De telles stratégies locales permettront de minimiser les risques d'allergie en attendant, qui sait, que la France et le sud de l'Europe s'alignent sur l'ensemble des pays industrialisés.
Participaient à cette table ronde : le Pr Francisque Leynadier et Mme Céline Bourguignon (Saint-Louis), Mme Marie-Laure Brandely (Hôtel-Dieu), Mme Frances (Reims), Mme Guillet (CHU Caen), M. Lurton (CHU Rennes), Mme Maachi (Pessac), M. Philippe Martineau (hôpital des Diaconnesses), M. Suberville (polyclinique du Trégor, Lannion).
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