P ASCAL RAOUL (Elanco France) avoue découvrir avec surprise les affres de la « communication », où les arguments scientifiques semblent peser bien peu devant la magie des mots. Personne n'ignore que le développement des résistances bactériennes aux antibiotiques est un problème majeur dont la prise en charge passe par la diminution de l'utilisation de ces molécules. Actuellement, quatre antibiotiques sont utilisés comme additifs alimentaires en élevage, en tant que régulateurs de la flore intestinale (ARF : antibiotiques régulateurs de la flore), contribuant à la bonne santé des animaux, à l'efficacité de leur alimentation et à la productivité des exploitations. Ce ne sont pas des médicaments au sens strict. Ils n'ont même aucune parenté moléculaire avec les antibiotiques utilisés en pathologie humaine ou animale. Mais ils sont produits suivant le même principe de fermentation, d'où leur appellation d'antibiotiques, et d'où la confusion.
La fondation HAN (Heidelberg Appeal Nederland), qui réunit des experts indépendants sur chaque sujet qui lui est soumis, a conclu en 1999 que rien ne permettait de lier l'utilisation des ARF à une augmentation des maladies infectieuses chez l'homme ou à une augmentation des résistances bactériennes. Depuis, quatre des huit antibiotiques étudiés ont été retirés du marché. Ceux qui restent sont soumis à une réglementation européenne draconienne, au moins aussi contraignante que celle qui concerne les médicaments. Elle aboutit, toujours selon M. Raoul, à un effet sur l'environnement qui n'est pas nul, puisqu'il diminue la quantité des effluents nocifs, comme l'azote.
Le Pr Arlette Laval (Nantes) va même plus loin : la suppression inconsidérée des ARF peut se révéler nocive pour l'animal et pour l'homme. Pour le premier, elle augmente le taux des maladies infectieuses, souvent graves, et donc, paradoxalement, le recours aux antibiotiques « médicaments », de façon transitoire (quelques années) mais certaine. C'est ce qui s'est produit au Danemark. Elle favorise aussi la dissémination des spores et, en conséquence, celle de maladies redoutables pour l'homme, comme le botulisme. Le Pr Laval rappelle que cette dernière maladie touche entre 20 et 80 personnes par an et s'étonne qu'elle ne soulève pas autant les passions que l'ESB, qui a atteint 150 personnes en 15 ans !
Des activistes
La cause semble entendue. Pourtant, explique André Appert, président du SYNPA (Syndicat national des producteurs d'additifs et d'ingrédients alimentaires), la Commission européenne envisage de retirer l'autorisation des ARF, sous la pression de « groupes activistes » au Parlement européen, qui « s'opposent en fait à un certain type de production alimentaire pour des raisons d'ordre philosophique ». Guy Pradier (Intervet SA) souligne que le processus prendrait, de toute façon, au moins quatre ans à partir du moment où il serait sérieusement envisagé. Mais, explique André Appert, le plus long est le mieux. La suppression « brutale » des ARF aurait en effet des conséquences désastreuses sur les coûts d'exploitation, en diminuant les rendements et en obligeant les producteurs à des réaménagements de leurs installations afin de conserver une sécurité sanitaire intacte.
Aussi, plaide-t-il, si cela doit se faire, que cela se fasse lentement, pour ne pas pénaliser les producteurs européens. Et ne pas tromper les consommateurs. La réglementation actuelle garantit en effet la parfaite traçabilité des produits utilisés. Les viandes importées n'offrent pas cet avantage : le consommateur devra-t-il payer plus cher pour avoir une viande de bonne qualité ? N'y a-t-il pas quelque contradiction à interdire aux producteurs européens ce qui sera de fait permis aux autres ?
Le SYNPA est donc fermement décidé à « communiquer ». Parmi les interlocuteurs qu'il souhaite rencontrer, le monde médical est évidemment en bonne place, puisque les arguments élevés contre les ARF relèvent à l'évidence du domaine de la santé, que les ARF ne représentent que 10 % environ de la consommation totale d'antibiotiques et que les médecins sont des prescripteurs.
Conférence de presse du SYNPA : « La suppression des antibiotiques régulateurs de flore envisagée dans les années à venir est-elle une bonne nouvelle pour les consommateurs ? ».
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