L E régime algérien est à la fois fort et faible : fort, et même sévère, dans la répression, faible dans les résultats qu'elle produit. Même si elle est provisoirement matée, l'insurrection kabyle finira par achever le gouvernement actuel.
Cela semble inévitable dans la mesure où le FLN, qui soutient le régime d'Abdelaziz Bouteflika, n'a jamais conçu d'autre politique que le refus pur et simple de la contestation. Historiquement, l'indépendantisme kabyle a précédé l'intégrisme. Il a toujours été réprimé par la violence, notamment au lendemain de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, alors qu'il aurait été plus judicieux de donner aux Kabyles une forme de gestion autonome qui aurait empêché l'embrasement actuel. Il se peut qu'il ne s'agisse que d'un feu de paille. Mais il est impossible de négliger un phénomène dont la vigueur ne s'est jamais démentie et que des décennies de répression n'ont fait que développer.
Les massacres intégristes n'ont pas non plus rassemblé tous les Algériens sous la bannière du FLN, dont se méfient les partis de l'opposition, indignés des conditions dans lesquelles M. Bouteflika a été élu président. Les manquements du régime à la démocratie n'ont fait qu'encourager les Kabyles à opter pour la sécession.
Bien entendu, ils n'y parviendraient pas sans une guerre sanglante qui s'ajouterait à une guerre civile de près de dix ans. Mais le FLN peut-il se battre sur tous les fronts ? Peut-il justifier son influence sur le pouvoir alors qu'il est contesté par les partis de l'opposition, par les Kabyles et par les intégristes ? Et les partisans d'un système démocratique ne seront-ils pas tentés de tirer avantage du chaos actuel pour porter l'estocade au régime ?
En effet, M. Bouteflika n'a pu tenir aucune de ses promesses : quand il a tendu la main aux intégristes, au grand dam de leurs victimes, ils l'ont rejetée ; de ce fait, il n'a pas pu garantir la sécurité des Algériens : les crimes collectifs se poursuivent.
En outre, les révélations sur la participation des militaires à des opérations scandaleuses qui auraient fait d'autres victimes dans la population pour les attribuer aux intégristes ont porté la méfiance populaire à son comble. Le FLN est discrédité et, avec lui, ceux qui s'appuient sur lui. Et bien que les Européens considèrent M. Bouteflika comme un interlocuteur valable, les seuls progrès économiques en Algérie sont dus à la hausse des prix du pétrole, qui a renfloué le budget. Mais on ne voit encore rien du dynamisme qui permettrait à l'économie algérienne de décoller.
Si la Kabylie se rappelle au bon souvenir de M. Bouteflika, c'est parce que la guerre civile, à laquelle il n'a pas su ou pu mettre un terme, a mis entre parenthèses tout projet de réforme, sociale ou politique. Les Kabyles ne veulent pas attendre la fin d'une crise qui peut durer encore longtemps et risque d'ailleurs de se solder par la défaite du FLN. L'arrivée éventuelle des intégristes au pouvoir, quoique très improbable, ne faciliterait guère leurs projets. Le gouvernement algérien n'a su donner aucun gage : ni aux Kabyles, dont il aurait acquis le concours s'il les avait au moins reconnus en tant qu'entité culturelle au lieu de laisser ses escadrons de la mort exécuter leurs chantres ; ni à l'opposition, en équilibre précaire sur le fil tendu à se rompre d'une guerre justifiant tous les actes de violence officielle, intégristes et démocrates faisant l'objet de la même répression ; ni enfin au peuple algérien, qui est à bout de souffle, décimé par les intégristes, privé de quelques libertés essentielles, mais en définitive trop près de l'Europe et de sa culture politique pour ne pas poser sur cette crise interminable le plus lucide des regards. Il n'y a rien, en somme, que les Algériens ne sachent de la corruption du gouvernement, de la violence inhumaine de l'islamisme, des mensonges contenus dans le discours officiel, d'une menace sécessionniste qui, d'ailleurs, fait frémir leur patriotisme, d'un avenir vide de tout espoir, surtout pour la jeunesse, du chômage et du dénuement dans un pays où tous les jours, on tue les femmes et les enfants, c'est-à-dire l'avenir. L'Algérie n'est ni la Libye ni l'Irak ; son peuple sait ce que liberté veut dire. Qu'est-ce qui attache ses maîtres actuels à un pouvoir dont ils font un aussi mauvais usage ?
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