Plus que la grippe aviaire ou le SRAS, ce sont désormais les bactéries multirésistantes (BMR) importées de l’étranger qui inquiètent les spécialistes des maladies du voyage. Et depuis le coup de semonce de 2010 où l’Angleterre avait du faire face à la fameuse bactérie tueuse multirésistante?NDM-1 (New-Dehli métallo-bêta lactamase) importée d’Inde, la vigilance est plus que jamais de mise comme le souligne le Pr Eric Caumes, (président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation, HCSP), en introduction des nouvelles recommandations sanitaires pour le voyageur parues dans le BEH du 29 Mai .
D’autant que le nombre de cas de patients découverts porteurs de BMR au retour de voyage va crescendo. Par exemple, pour les seuls cinq premiers mois de 2012, l’AP-HP a déjà comptabilisé 21 patients porteurs d'entérobactéries multirésistantes car productrices de carbapénèmase (EPC) contre 13 pour toute l’année 2010 et 40 en 2011.
On sait depuis longtemps que les bactéries rencontrées dans les régions Sud du globe sont plus résistantes que celle des pays du Nord. Dès les années 1980, « on s’est aperçu que lors de voyages du nord vers le sud, les bactéries intestinales étaient plus résistantes au retour et cette colonisation était d’autant plus importante que la durée du séjour était longue », indique le Pr Antoine Andremont (laboratoire de bactériologie, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris). Ceci pour diverses raisons comme un usage plus courant des antibiotiques sans prescription médicale dans certains pays (Inde, Chine). Mais aussi parce que les industries du générique sont nombreuses en Asie et dans le sous-continent indien. « Dans ces endroits, la production et l’utilisation d’antibiotiques sont donc considérables », analyse le Pr Andremont.
« Tant qu’on disposait d’une kyrielle d’antibiotiques,?ces?phénomènes
de résistance n’étaient pas très graves » poursuit le Pr Andremont. Mais, depuis quelques années, « un certain nombre de bactéries intestinales à l’origine d’infections banales, fréquentes et communautaires (par des colibaciles principalement) sont devenues si résistantes que l’on ne dispose désormais plus que d’une ou deux familles d’antibiotiques pour traiter les patients. ». Ainsi, si pendant de nombreuses années, il ne s’agissait que de bactéries nosocomiales, isolées chez des patients hospitalisés, « la situation devient critique, car désormais celles-ci se rencontrent au cours d’infections communautaires ».
« Nous devons faire face aujourd’hui à deux vagues épidémiques de bactéries à Gram négatif multi-
résistantes », constate le Pr Andremont. La première qui a débuté en 2006, concerne la famille des entérobactéries (Escherichia coli mais aussi, plus rarement, Acinetobacter et Pseudomonas) qui secrètent des BLSE (bêta-lactamases à spectre élargi,) lesquelles confèrent des résistances à presque tous les antibiotiques sauf aux carbapénèmes (pénicilline de réserve hospitalière très résistante aux bêta-lactamases). S’y associe depuis 2010, une seconde vague épidémique, qui concerne des entérobactéries productrices de carbapénèmase (EPC) « contre lesquelles nous sommes presque dé-
munis ».
Une mondialisation des BMR
Certaines bactéries de ce type, comme les entérobactéries Klebsiella pneumoniæ productrices de carbapénèmase (KPC), ont d’abord été isolées dans les pays industrialisés, d’autres dans les pays du Sud comme la fameuse bactérie NDM-1. Mais les voyageurs, les animaux ou la nourriture sont des vecteurs de dissémination mondiale très efficaces et ces souches sont désormais retrouvées partout dans le monde.
Au Royaume Uni, il a été montré qu’être hospitalisé en Inde conférait un haut risque de portage de ces entérobactéries sécrétrices de carbapénamases. Et, phénomène très inquiétant, les destinations privilégiées Français deviennent des pays réservoirs de BMR :
« Depuis 2004, les patients-source porteurs d’EPC hospitalisés à l’AP-HP sont en provenance pour un tiers des cas de la Grèce, pour un autre tiers des pays de l’Afrique du Nord, le dernier tiers regroupant des provenances variées (USA, Inde, Afrique noire...) », rapporte le Dr Sandra
Fournier (équipe opérationnelle d'hygiène à la Direction de la politique médicale/AP-HP).
Au total, depuis 2004, 87 % des patients hospitalisés à l'AP-HP et découverts porteurs d’EPC, ont séjourné récemment à l’étranger, la majorité d’entre eux ayant été rapatriés ou hospitalisés hors du territoire dans l’année précédente.
Des porteurs sains pas si sains
«?Pour certaines destinations, jusqu’à 50 % des voyageurs peuvent avoir un tractus digestif colonisé par des BMR, évalue Antoine Andremont. Bien entendu, une simple colonisation n’est pas une maladie en soi et cela ne s’accompagne le plus souvent d’aucun symptôme. Cependant, la colonisation par de telles bactéries semble augmenter le risque que, lorsqu’une infection survient, du tractus urinaire par exemple, ce soit avec la BMR du tube digestif du sujet.?» Les études sont en cours pour préciser la durée de ce portage sain de BMR, probablement comprise entre quelques semaines et plusieurs mois.
Deux sortes de voyageurs sont plus particulièrement concernés : « Il s’agit soit des “touristes médicaux“, hospitalisés de leur plein gré pour interventions dentaires ou chirurgie esthétique, détaille le Pr Caumes, soit des voyageurs confontés accidentellement aux systèmes de soins des pays qu’ils visitaient. Ils ont pour dénominateur commun d’avoir été hospitalisés dans un pays étranger, qu’ils soient tropicaux ou du bassin méditerranéen ». Ils sont devenus ainsi porteurs au niveau digestif – moins souvent au niveau cutané – de BMR. Importées dans les pays occidentaux au décours d’une hospitalisation, ces bactéries peuvent être à l’origine de véritables épidémies hospitalières difficilement contrôlables.
Dépistage systématique à l’hôpital
D’où les recommandations actuelles de dépister le portage intestinal (par écouvillonnage rectal) chez tous les patients qui arrivent à l’hôpital et qui ont été en contact avec un centre de soin au cours des
6 mois précédents.
A l’AP-HP, le dépistage des rapatriés, préconisé depuis 2008, est de plus en plus appliqué. L’idée étant ensuite de mettre en place des mesures pour éviter toute dissémination. « Si ces précautions étaient parfaitement respectées, il ne devrait pas y avoir d’épidémie, souligne Sandra Fournier.
Malheureusement, l’hygiène des mains via les gels hydro-alcooliques, mesure majeure pour prévenir la diffusion de ces bactéries à transmission fécale/orale, est notamment encore insuffisante dans nos hôpitaux. » A cela s’ajoute la méconnaissance du portage de BMR qui augmente probablement le risque de leur diffusion : « Il arrive qu’un patient porteur d’EPC soit à l’origine d’une épidémie par transmission croisée ». Pourtant, depuis 2004, le nombre d’épidémies en proportion du nombre d’alerte n’augmente pas. « C’est plutôt bon signe, souligne-t-elle, et cela prouve que les règles, notamment l’identification dès l’entrée à l’hôpital, et l’isolement strict du cas-source sont efficaces. » La menace existe bien mais elle est contenue.
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