L'ampleur de la maltraitance des enfants est de mieux en mieux connue grâce, notamment, aux signalements recueillis par l'Aide sociale à l'enfance. En revanche, les conséquences pathologiques des mauvais traitements qui n'ont pas été diagnostiqués font encore l'objet de très peu de travaux de recherche en France. Ce constat a poussé la direction générale de l'Action sociale (DGAS) à solliciter de l'INSERM une étude sur la possibilité de surveiller épidémiologiquement ce phénomène.
Cette recherche est menée par Anne Tursz, Pascale Gerbouin-Rerolle et Monique Crost, de l'unité INSERM 502. Les trois chercheuses ont choisi de s'intéresser dans un premier temps aux décès « inattendus » survenus chez les nourrissons exempts de toute pathologie ou malformation connues, souvent étiquetés « mort subite du nourrisson » et plus particulièrement aux cas d'enfants « trouvés décédés ». « Au terme de l'étude, on pourra montrer que le nombre d'homicides est largement supérieur à ce que l'on croit, avance Anne Tursz. Il y a en effet urgence, ne serait-ce que pour la prévention des récidives de maltraitance grave dans une famille. »
Le nombre annuel d'homicides répertoriés comme tels est très faible (11 en 1999), mais il masque très certainement une sous-évaluation. D'où l'intérêt d'une étude plus fine sur l'ensemble des morts suspectes. A l'heure actuelle, 1 000 cas hospitaliers ont été enregistrés et l'enquête auprès de cinq parquets est achevée (Paris, Arras, Douai, Quimper et Vannes). Ces résultats intermédiaires permettent de dresser les premiers constats. Dans l'enquête hospitalière, les diagnostics déclarés par les pédiatres ont été pour 60 % une mort subite inexpliquée du nourrisson (MSIN), dans 28 % des cas des morts de cause médicale naturelle (des pathologies infectieuses essentiellement), pour 6 % les morts accidentelles (accidents collectifs mais aussi chutes, noyades, suffocations et asphyxie dont l'interprétation est parfois difficile) et pour 6 % des morts suspectes violentes.
Cependant, plusieurs difficultés compliquent l'interprétation de ces résultats. Même lorsqu'il existe des signes très évocateurs de violence, l'autopsie médico-légale n'est réalisée que dans 77 % des cas. Et la complexité des circuits après le décès et la variabilité dans les critères de suspicion de maltraitance rendent l'analyse encore plus aléatoire.
Au-delà du problème de la maltraitance, l'enquête révèle des problèmes préoccupants de santé publique. « Dans la mort subite du nourrisson, on observe encore trop de conditions de couchages inappropriés (en position ventrale notamment) et même des situations de cosleeping dans 8 % des cas. Il existe encore des nourrissons qui meurent de gastro-entérites et de déshydratation. D'où la nécessité de renouveler l'ensemble des recommandations à l'intention des parents », souligne Anne Tursz.
Immaturité affective
L'étude montre également que dans les facteurs de risque de la maltraitance, les facteurs socio-économiques ne semblent pas jouer un grand rôle. « Le problème de fond est l'incapacité pour le couple mère-enfant de se nouer immédiatement après la naissance », analyse Anne Tursz. L'immaturité affective des parents maltraitants est une constante. « Peut-être qu'on n'explique pas assez aux futurs parents pourquoi le très petit nourrisson semble toujours réclamer quelque chose. La dépression après l'accouchement (de 10 à 15 % des femmes) n'est pas assez dépistée à cause des séjours de plus en plus courts dans les maternités. On devrait savoir détecter les grossesses à risques psychologiques pour mieux prévenir », poursuit la pédiatre.
La poursuite de cette étude devrait permettre de mieux appréhender l'ampleur du problème et ses causes. L'Observatoire de l'enfance maltraitée, actuellement en cours de mise en place par le ministère de la Famille, devrait permettre d'assurer une meilleure surveillance épidémiologique du phénomène de la maltraitance.
L'étude a été financée par la DGAS, l'INSERM et la fondation Mustela.
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