DEPUIS LE DÉBUT des années 2000, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sexuelles (Miviludes) a rencontré plus de 50 familles qui se sont rendues dans des consultations spécialisées, car victimes de souvenirs induits. Un des parents se voit accuser d'inceste et/ou de pédophilie par l'un de ses enfants, une jeune femme de 33 ans de moyenne d'âge. Celle-ci, adepte d'une secte, essorée mentalement par «une technique précise, thérapeutique ou non», accouche de «faux souvenirs», des «souvenirs induits». Il s'ensuit une annonce subite et brutale, par courrier ou par téléphone. Le père, dans 80 % des cas – 10 % le grand-père, 6 % un frère, oncle ou proche, 4 % mère ou femme –, et la mère, prétendue complice, sont poursuivis en justice. Il s'agit d'extorquer des fonds au bénéfice du mouvement sectaire. Dans quelques familles «seulement», ce sont des mères qui sont accusées, par leur fils ou leur fille, de viol, d'inceste et d'attouchements sexuels.
Les dégâts sont d'une telle ampleur que la Miviludes avait déjà tiré la sonnette d'alarme, ces dernières années, alors que le métier de psychothérapeute n'est toujours pas réglementé (voir encadré). Dans son rapport 2007, rendu public aujourd'hui, elle va encore plus loin dans la dénonciation, sachant que le phénomène gagne du terrain.
L'influence de certains psychothérapeutes.
«L'influence des psychothérapeutes par la suggestibilité manifeste de certaines méthodes n'est plus à démontrer.» Dix pour cent des psychothérapeutes qui se livrent à des dérives dans la pratique des souvenirs induits se rangent parmi les médecins, psychiatres et homéopathes, 10 % sont des psychologues, 16 % des psychothérapeutes et 64 % ont des origines diverses. Ils ont recours, entre autres, à l'hypnose, la sophrologie, la psychogénéalogie, le décodage biologique des êtres vivants, les massages énergétiques, la communication facilitée, les gestaltthérapie, le yoga méditation, le psycho-théâtre, la musicothérapie et la consommation d'iboga. Dans les familles, les «conséquences sont graves sur le plan psychique». Elles peuvent «entraîner des divorces, des suicides et diverses ruptures et drames», souligne Delphine Guérard, psychologue clinicienne de l'association Alerte faux souvenirs induits (AFSI), consultée par la Miviludes. «L'acharnement investigateur a en outre des effets pervers. Lorsqu'une personne sort d'une thérapie convaincue de la réalité de ses souvenirs, de ses dires, et se décide à prendre un avocat, on peut légitimement penser qu'il y a un débordement de la réalité narrative sur uneréalité historique. L'acharnement thérapeutique qui consiste à retrouver à tout prix les souvenirs grâce à des questions suggestives, à chercher de façon intrusive une parole qui ne vient pas et à considérer la dénonciation comme un moyen pour enfin connaître la paix, est une pratique dangereuse. N'est-ce pas justement une forme de viol?», met en garde la spécialiste. Suggestion, «force de persuasion» renvoient à la «toute-puissance et (au) tout-pouvoir du thérapeute». Ce dernier «pense à la place de l'autre, impose sa vision du monde. Il pénètre par effraction dans l'inconscient d'autrui à partir des rêves et des souvenirs. Le sujet transformé en objet se retrouve dans une dépendance aliénante».
En outre , «la toxicité du psychisme du thérapeute sur les patients a des répercussions très graves sur la santé des proches. Les familles subissent un véritable préjudice psychologique». Dans un premier temps, accablés par les «révélations» de viol, les «accusés», apprenant que leur enfant est engagé dans une démarche dite «psychothérapeutique»,pensent que «ça fait partie de la thérapie» et imaginent une porte de sortie. Mais la procédure judiciaire ne tarde jamais, avec convocation au commissariat, garde à vue et mise en examen. On rapporte «une grande violence à l'égard du père. Sa fille s'approprie une histoire qui n'est pas la sienne». Des scissions s'opèrent dans la cellule familiale. C'est «pour ne pas sombrer» dans les manigances de leur enfant que des familles réagissent et créent l'AFSI en juillet 2005. Quelques-unes saisissent la justice, pour exercice illégal de la médecine ou usurpation du titre de psychologue, afin de «stopper la nuisance du thérapeute». «Le phénomène passe largement» le milieu sectaire, tient à affirmer Delphine Guérard. «On (l') observe chez des psychiatres et des psychologues diplômés ayant des pratiques douteuses et aux théories peu recommandables, hantés par l'expérimentation et fascinés par les abus sexuels.»
Un outil de veille au ministère.
Le syndrome du faux souvenir, né dans la seconde moitié du XXe siècle aux Etats-Unis, émerge dans un contexte d'évolution des mentalités, notamment autour des tabous sexuels, et de croissance d'un marché de l'offre de psychothérapie, utilisée aussi bien à des fins curatives que dans les stratégies professionnelles ou d'accompagnement d'un mieux-être.
Le ministère de la Santé, appelé à réagir chaque année au rapport de la Miviludes, précise que «des actions relatives aux dérives liées aux pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique seront conduites dans le champ de la formation professionnelle». Elles prolongeront un plan 2007 prévoyant la mise en oeuvre progressive d' «un outil de veille permanent». Des poursuites judiciaires seront engagées, «s'il y a lieu», des opérations de sensibilisation des professionnels seront développées, et des «réponses cliniques adaptées» seront apportées aux personnes sortant de sectes qui le souhaitent ou qui nécessitent «un accompagnement psychologique».
L'Ordre national des médecins, représenté au conseil d'orientation de la Miviludes (voir encadré), se mobilise aussi contre «ces manoeuvres visant à mettre sous état de suggestion (et) qui peuvent entraîner d'importants désordres sur le plan physique et mental». «Nous ne prenons pas pour cible les structures elles-mêmes, dit au “Quotidien” le Pr Jean-Philippe Parquet, autre représentant du corps médical au sein du conseil d'orientation, mais les dérives dont elles sont la cause.»
* Outre l'AFSI – sollicitée depuis sa création par « plusieurs centaines de drames familiaux » liés au syndrome du souvenir induit –, il existe l'Association d'entraide aux familles confrontées à des accusations soudaines.
Un décret attendu sur les psychothérapeutes
Selon la Fédération française de psychothérapie et de psychanalyse, il y aurait entre 10 000 et 15 000 psychothérapeutes, dont 10 à 15 % de médecins, 20 à 30 % de psychologues, 20 % de travailleurs sociaux, 20 % de professions paramédicales et de 10 à 15 % de personnes d'origines diverses.
Pour la Miviludes, la moitié d'entre eux, soit de 5 000 à 7 000, auraient une formation initiale insuffisante, voire inexistante.
Un projet de décret du cabinet Bachelot, non encore validé, prévoit que l'usage du titre de psychothérapeute soit subordonné à l'inscription sur une liste départementale et à une formation théorique (400 heures) et pratique (5 mois) en psychopathologie clinique (arrêté Santé-Enseignement supérieur). Seraient dispensées de cette «formation minimale», les personnes «justifiant d'au moins trois ans d'expérience professionnelle en qualité de psychothérapeute».
La Miviludes
La Miviludes est présidée par Jean-Michel Roulet, préfet, nommé par Dominique de Villepin, qui quittera ses fonctions à l'automne. Cette fin de mandat triennal pourrait donner lieu à un regain de pressions de certaines sectes en direction des parlementaires, dans l'espoir de voir la Miviludes plus conciliante à leur endroit. Elles souhaitent, notamment, pouvoir «bénéficier du statut protecteur et fiscalement avantageux des religions».
Le conseil d'orientation de la Miviludes compte 31 personnes qualifiées, parmi lesquelles 8 parlementaires, des parents, des juristes et 2 médecins : le Dr Daniel Grünwald, représentant de l'Ordre national, et le Pr Jean-Philippe Parquet, psychiatre.
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