B ERNARD KOUCHNER en avait fait une « priorité absolue », mais on n'y croyait plus. Un an après avoir été dévoilé par Dominique Gillot, l'avant-projet de modernisation du système de santé, enfin complet, a été transmis au Conseil d'Etat, et devrait pouvoir être examiné par le Parlement à l'automne. Après bien des hésitations, le gouvernement a finalement opté, en ce qui concerne l'aléa thérapeutique, pour la solution révélée par « le Quotidien » en avril (voir le numéro du 6), un office national d'indemnisation financé par la solidarité nationale, à savoir l'assurance-maladie.
Le titre III de la future loi (voir encadré) introduit dans le code de la santé publique un titre consacré à la « réparation des risques sanitaires ». Il prévoit que « toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins » a droit à une information sur les circonstances et les causes de l'accident, qui devra lui être donnée par le professionnel, l'établissement ou le service concerné dans les quinze jours suivant sa demande. Dans chaque région, une commission de conciliation et d'indemnisation sera chargée de faciliter le règlement amiable des litiges, sa saisie suspendant les délais de prescription et de recours contentieux. La commission régionale devra rendre son avis dans les six mois. Elle peut demander une expertise, les frais étant pris en charge par l'office d'indemnisation (et éventuellement remboursés par l'assureur en cas de faute).
Lorsque la responsabilité du professionnel de santé ou de l'établissement est mise en évidence, l'assureur doit, dans les quatre mois, présenter une offre pour la réparation intégrale des préjudice, mais « seuls sont indemnisables les préjudices certains, fussent-ils futurs ». Si l'assureur ne répond pas ou refuse l'indemnisation, l'office se substitue à lui pour la réparation et saisit alors le juge ; si l'assureur est condamné, il doit payer en plus une amende correspondant à 30 % des sommes allouées. Une perspective qui, dans bien des cas, devrait dissuader les assureurs de se risquer devant la justice.
Solidarité nationale
Lorsqu'aucune responsabilité n'est établie, l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale ouvre droit à réparation « au titre de la solidarité nationale ». Le paiement intervient dans le mois suivant la réception par l'office de l'acceptation par la victime ou ses ayants droit de son offre.
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et affections iatrogènes est un établissement public à caractère administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé. Ses recettes sont constituées notamment par une dotation de l'assurance-maladie. Le ministère évalue celle-ci entre 1,5 et 2 milliards par an pour indemniser quelque 5 000 personnes. Mais ce chiffre reste très difficile à cerner car, selon les associations de patients, le nombre des personnes victimes d'accidents médicaux est actuellement très sous-évalué.
La loi devrait être applicable aux accidents consécutifs à des actes réalisés au plus tôt six mois avant sa publication. Cependant, les contaminations transfusionnelles par le VHC - l'accident collectif qui était la grosse pierre d'achoppement du projet - ne sont pas ignorées : en cas de contamination possible antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, par transfusion de produits sanguins labiles ou injection de médicaments dérivés du sang, il reviendra, pour les instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, aux établissements de prouver que la transfusion ou l'injection n'est pas à l'origine de la contamination, car « le doute profite à la victime ».
Désormais raisonnablement optimistes, les associations n'en seront que plus vigilantes, lors du débat au Parlement et pour être représentées dans les instances dirigeantes du système. Comme l'explique Alain-Michel Ceretti, président du LIEN (association de Lutte, d'Information et d'Etude des infections Nosocomiales) et porte-parole du CISS (Collectif interassociatif sur la santé, qui réunit 23 associations ou groupements), diverses précisions doivent être apportées qui ne sont pas mineures. En particulier, le seuil d'accès à la commission régionale (décret en Conseil d'Etat) : les associations souhaitent que soient pris en compte aussi bien l'IPP (incapacité permanente partielle) et l'ITT (incapacité temporaire). Les associations souhaitent aussi peser à l'Assemblée pour que soit prise en compte de manière spécifique la question des hémophiles, très nombreux à être touchés par l'hépatite C. Et elles vont être très attentives à l'indépendance du système, dans lequel elles ne se contenteront pas d'un « strapontin » comme à l'ANAES, quand il ne s'agit pas d'une absence pure et simple comme dans l'Institut de veille national ou dans le réseau national de surveillance des infections nosocomiales récemment mis en place. Moyennant quoi, le système constituera un « observatoire formidable » qui devrait permettre non seulement de venir en aide aux victimes mais aussi de prévenir certains risques.
Les assureurs, comme le SOU médical, se réjouissent également de la « volonté politique » qui s'est ainsi manifestée pour régler un problème identifié de longue date et du « grand pas pour les victimes ». Ils s'inquiètent comme les associations du seuil d'accès au système ainsi que de la possibilité de tenir les délais prévus compte tenu de la complexité des expertises. Pour Nicolas Gombault, du SOU médical, l'expertise sera la clef du dispositif. En attendant, les débats à l'Assemblée, dont tous espèrent qu'il se déroulera le plus tôt possible, seront suivis avec un grand intérêt.
Démocratie sanitaire, qualité du système de santé et réparation des risques
Le projet de loi relatif à la modernisation du système de santé comporte trois parties (titres). Le titre premier définit la « démocratie sanitaire », avec les droits fondamentaux de la personne malade (droits au secret, aux « soins les plus appropriés » et « propres à soulager sa douleur »), les responsabilités des usagers (information, consentement, accès direct ou non au dossier), la participation des usagers au fonctionnement du système de santé, les responsabilités des professionnels et institutions de santé, l'orientation de la politique de santé, et l'organisation régionale de la santé.
Le titre II concerne la « qualité du système de santé » : compétence professionnelle, formation médicale continue, déontologie et information (avec des modifications des instances disciplinaires), prévention (création d'un institut national d'information, de promotion de la santé et d'éducation pour la santé), réseaux.
Le titre III porte sur la « réparation des risques sanitaires ». Un premier chapitre garantit l'accès à l'assurance des personnes présentant un risque de santé aggravé grâce à un dispositif conventionnel (Etat, associations, organismes assureurs). Un article souligne que les organismes assureurs ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne, même si celles-ci sont transmises par la personne concernée ; ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques ni demander à une personne de se soumettre à des tests génétiques. Le chapitre II pose les principes de la responsabilité médicale. Enfin, les chapitres suivants, ceux qui ont fait l'objet des plus grandes hésitations, définissent l'aide aux victimes d'accidents médicaux et d'affections iatrogènes.
L'expertise à la révision
Le nouveau projet de loi est l'occasion de revoir l'organisation de l'expertise qui, selon les associations, était défaillante, aboutissant parfois à la désignation de médecins dans un domaine de compétence très éloigné de leur spécialité (on a vu par exemple, dit Alain-Michel Ceretti, un obstétricien appelé à réaliser une expertise pour une ostéite du genou, faute d'avoir le spécialiste ad hoc). Il devrait permettre aussi de diminuer les inégalités régionales grâce à la mise au point de méthodes et barèmes validés.
Selon le projet, une commission nationale des accidents médicaux (composition et fonctionnement fixés par décret en Conseil d'Etat), placée auprès des ministres de la Justice et de la Santé, établira la liste nationale d'experts ainsi que des recommandations sur la conduite des expertises ; elle remettra chaque année un rapport évaluant l'ensemble du dispositif.
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